Le cadre et les règles dans les processus thérapeutiques et de coaching
Suite à l’analyse de nombreux cas cliniques au cours de ces dernières années (Paris et île de La Réunion) par Erick Dietrich en collaboration avec Angélique Veillard.
« La seule tragédie, c’est de ne pouvoir se concevoir soi-même comme tragique. J’ai toujours vu clairement ma coexistence avec le monde. Je n’ai jamais ressenti clairement mon besoin de coexister avec lui ; c’est en quoi je n’ai jamais été un être normal. Agir, c’est connaître le repos. Tous les problèmes sont insolubles. Par essence, l’existence d’un problème suppose l’inexistence d’une solution. Chercher un fait signifie qu’il n’existe pas de fait. Penser, c’est ne pas savoir exister ».
Dans ce texte, nous utiliserons les termes suivants :
Le professionnel : pour désigner le thérapeute et/ou le coach et/ou tout professionnel impliqué dans une négociation et/ou une stratégie de la communication ou managériale.
L’Autre : désigne la personne en souffrance qui vient demander de l’aide.
Le transfert : ce que vit, ressent et émet sur quelque mode que ce soit l’Autre.
Le contre-transfert : ce que vit, ressent et émet sur quelque mode que ce soit le professionnel face au transfert.
Pour un professionnel, ce n’est pas que la formation et/ou le nombre d’années d’exercice qui comptent, ni les diplômes qu’il pourrait avoir et/ou la reconnaissance renvoyant à des positions narcissiques de toute-puissance et de pensée magique. Pour entrer dans le dialogue avec l’Autre, le professionnel doit pouvoir déposer sa toute-puissance et prendre sa soi-disant bienveillance avec lui pour pouvoir être dans la présence de cet autre-là, qui vient exprimer l’inexprimable de sa souffrance, évoquer son symptôme, son trouble, ses peurs et ses doutes sur la vie. Le plus important est la qualité de son travail d’implication personnelle, de son travail continu en supervision et surtout de son ouverture philosophique, humaniste et spirituelle sur le monde et sa qualité d’être là, dans le dialogue avec l’autre, dans une écoute pour aider la personne en demande de cheminement.
Quand un professionnel reçoit une personne pour la première fois, qui fait une démarche lourde de sens et importante pour lui, cette personne a besoin de cet autre-là pour pouvoir se sentir accueillie dans son discours (avec ses dires et non-dits) et quant à la raison de sa présence là, à cet instant et dans ce lieu si angoissant. Le professionnel posé là dans une attitude de pensée ouverte, à écouter, savoir entendre l’inattendu, l’imprévisible, l’inexprimable, le possible comme l’impossible, peut s’intéresser aux mots, aux maux, aux vécus et aux perceptions en ne collant rien de lui dessus. La personne peut, comme dans le délire de Mozart (Amadeus) percevoir en ce lieu étrange le professionnel sous la forme d’une figure fantasmagorique vêtue d’une grande cape noire et d’un masque à deux visages. Le professionnel porte ces deux visages, le côté bon, le côté effrayant.
Il faut se méfier des règles posées dans certains cadres par les professionnels qui tentent d’éviter de se retrouver confrontés à quelque chose de dérangeant pour eux dans leur contre-transfert. Nous constatons chez beaucoup de professionnels des parts d’immaturité, des zones d’ombre, des peurs et des fantasmes limitants qui persistent. Contre quoi se protègent-ils ?
Une crise profonde ébranle depuis des dizaines d’années le monde de la thérapie, du coaching et du développement personnel, une crise des valeurs et d’une civilisation de la médiocrité qui se fige dans l’inertie. En voulant instaurer une pensée unique, la pensée moderne se retrouve sans anthropologie et en perte de sens. Notre société française, sorte d’État-providence, d’État sécuritaire, d’État rendant l’individu dépendant, invente de nouvelles lois qui ne veulent rien dire, qui n’ont pas forcément de sens. Les professionnels n’ayant aucun suivi thérapeutique personnel et/ou de supervision sont souvent des « robots désaffectisés étant trop souvent passés par le formatage universitaire » qui n’essaient pas et ne peuvent pas entendre ce que dit cet Autre assis là, face à eux, parlant de ses souffrances dans un lieu inconnu vécu comme singulier.
Que ce soit dans la thérapie, le coaching, la communication, les interactions, il y a toujours relation transférentielle car l’inconscient est une structure réactive et dynamique, lieu de pulsions et de conflits internes. L’appareil psychique (inconscient) est composé de plusieurs systèmes et fonctionne selon deux logiques opposées : le processus primaire (principe de plaisir-libido) et le processus secondaire (principe de réalité). Le processus primaire répond aux exigences du principe de plaisir, il réagit plus rapidement et avec force. Le mot « primaire » désigne à la fois son antériorité et sa suprématie sur le processus secondaire. Le processus primaire va donc utiliser le réagencement, le rêve, le fantasme, le délire et/ou la confusion ainsi que les lapsus, les actes manqués et l’utilisation du langage à l’autre ainsi que le passage à l’acte pour atteindre une forme de satisfaction. L’inconscient utilise aussi l’absence de contradiction, l’atemporalité, un réagencement de la réalité et il a des effets sur le corps (comportementaux, symptômes hystériques de conversion, maladie psychosomatique, hypochondrie).
L’inconscient utilise aussi un ensemble de mécanismes défensifs, dont certains comme les formations réactionnelles, les compulsions de répétitions et le masochisme représentent une mise en échec des différents outils utilisés. Les mécanismes de défense se mettent en place quand émergent une angoisse et/ou une pulsion importante : les défenses archaïques (schizoïde, paranoïde/paranoïaque, narcissique & le masochisme) puis post-archaïques (les défenses névrotiques : hystériques, obsessionnelles et/ou phobiques). Le système transférentiel appartient à l’inconscient et doit particulièrement être mis à jour. Ainsi, nous verrons que l’utilisation du cadre est un des outils les plus importants pour mettre à jour une partie des processus primaires et secondaires. Le cadre favorise l’émergence des transferts, des mécanismes défensifs, des répétitions des conflits infantiles, des mécanismes d’échec (…). Dans le cadre est posé l’interdit du passage à l’acte : tout peut se dire mais tout ne peut pas se faire et il y est fait référence à la loi symbolique (interdit de l’inceste, interdit du meurtre, interdit du cannibalisme).
Dans la relation transférentielle archaïque, il se forme une sorte de symbiose entre la personne et le professionnel (comme dans les liens de couple et/ou institutionnels) à partir d’un Moi fragmenté et/ou de fragments de la réalité, où vont se re-jouer les jeux et les enjeux des liens archaïques. La relation transférentielle est souvent frénétiquement montrée à voir dans un manifeste masquant un latent qui se cache. Quand tout va vers le débordement, rien ne semble y aller. Le professionnel ne doit pas laisser les choses se figer mais aider la personne à s’autoriser le Rien et le Tout, le débordement enfin dévoilé. Ainsi, ne pas empêcher le travail de l’intelligence et de la compréhension, c’est-à-dire de l’interprétation. Il convient pour le professionnel de trouver une posture d’être qui ne trahisse pas son sens d’être. Tel est certainement un des rôles que jouent la philosophie et l’humanisme dans la pratique : ne pas se laisser emporter par le courant vaniteux ou inféodé pour, au moment même où l’Être se voile, se protège, où le sens s’échappe sans cesse pour y revenir, aider la personne à appréhender la chose elle-même. Les professionnels devraient comprendre que ce n’est pas seulement le fait de dominer, de maîtriser et de se former (à outrance) pour se rassurer avec des « résultats » maîtrisables qui sera bénéfique pour l’Autre, mais c’est aussi savoir être dans des interrogations et entrer dans un dialogue permanent avec la personne qui chemine.
La loi, ce ne sont pas que des règles qui peuvent être mises dans le cadre en fonction des outils utilisés (coaching, thérapies…). À l’intérieur de ce cadre, on peut installer d’autres cadres. Cela va permettre à la personne de faire des liens et de trouver comment faire du nouveau avec son histoire grâce à une confrontation au cadre. Le cadre n’est pas là pour protéger le professionnel mais pour aider la personne à se découvrir. Un cadre mis en place au profit du professionnel aurait donc une tendance à enfermer la personne dans ses mécanismes défensifs et ainsi de refouler et/ou névrotiser encore plus.
Lorsqu’une personne parle, et ici entendez bien que le discours appartient à la personne qui l’énonce, son discours est donc à analyser et à comprendre dans la distance en analysant les microcomportements, les émotions, les sentiments, les sensations et les affects qui l’accompagnent. Ainsi, il convient de ne jamais prendre le discours pour ce qu’il est ou veut nous faire passer, mais de se mettre à distance et de se dire : pourquoi cette personne parle, que dit-elle vraiment ? L’homme a besoin de mettre en mots pour donner sens à ce qu’il vit ou pense vivre, c’est la fonction symbolique.
Ainsi, le cadre est une forme d’outil second (im)posé à la personne, représentation substitutive mise en place par ce professionnel tiers qui permet de faire émerger, l’impossible possible, ce qui est refoulé et représentant un danger pour les croyances de la personne et ses constructions comportementales, les mécanismes de défense. Ce processus se fait dans une lenteur « magique », une forme de métaphore imprécise qui va éclore au regard de la personne. Le cadre permet de tenter de faire prendre conscience à la personne que sa zone de confort n’est pas celle qu’elle pensait lui convenir, et que, dépassant ses peurs limitantes et ses croyances, elle peut sortir de cette zone pour aller vers un ailleurs où tout peut ad-venir. Le cadre est aussi là pour permettre parfois de laisser évoluer l’Autre dans un hors-cadre qui se situe dans le cadre, une forme de décadrage, comme les poupées russes, un cadre dans un cadre, restant dans le cadre général à condition que le professionnel sache se situer clairement et rester dans une position empathique et déontologique. Pour ce faire il ne doit pas être plongé dans sa toute-puissance ou la pensée magique. Toute relation est transfert et contre-transfert. Un cadre général qui est posé dans l’exercice et la stratégie permet de travailler avec à l’intérieur d’autres cadres qui permettent d’inscrire des jeux, des actions symboliques et/ou imaginaires qui permettent le travail de l’Autre. Les règles vont permettre de soumettre la personne à une scène psychique dans laquelle il peut se voir agir et ainsi s’analyser. En aucun cas, ces règles ne doivent se transformer en une vérité dominatrice imposée par le professionnel et qui placerait la personne en permanence dans l’attaque ou l’agression du cadre, renvoyant ainsi le professionnel à l’analyse uniquement du transfert (donc une forme unilatérale de travail intolérable) sans que le professionnel dévoile son contre-transfert de façon à ce que le travail puisse alors ad-venir dans la dialectique même de la séance. En osant utiliser son contre-transfert, le professionnel qui sait « proposer » un cadre va permettre à la personne de s’emparer d’une règle pour en faire un espace psychodramatique de répétition de sa problématique et de résurgence de ses mécanismes défensifs et de ses compulsions de répétition ; les règles et le cadre sont ainsi mis en place au profit de la personne. Il pourrait apparaître délirant de voir des professionnels dans une certaine forme de passage à l’acte n’arrivant pas à faire travailler la personne quant au cadre et aux règles. Le cadre ne doit pas être une limite pour la personne comme étant posé pour le profit du professionnel qui comme Ulysse, pour éviter le chant des sirènes, s’enfermerait dans sa toute-puissante théorie, connaissance et/ou technique risquant alors de transgresser les lois en passant en position incestueuse, dévoratrice et/ou abandonnique, voire violente. Tel est le risque pour un professionnel qui n’aurait pas fait un travail sur lui-même suffisant et qui ne serait pas en supervision donc dans la reproduction de son vécu du cadre au sein de son contre-transfert. Le cadre renvoie toujours à la triangulaire : la personne, le professionnel et la réactualisation des transferts pour aider la personne à tenter de faire le lien dans ce jeu des scènes psychiques et de bien prendre conscience que pour la personne qui va découvrir qu’entre la parole, l’agir et l’être qui se dévoile et qui se découvre, il y a un espace où les dimensions psychiques et les contre-transferts du professionnel s’inscrivent. Ainsi, le cadre c’est l’objet avec ses bords, qui va servir à l’Autre à travailler en sécurité dans des limites. Si ce cadre est débordé, le professionnel l’est aussi et l’Autre ne peut plus être dans la sécurité de son travail. Les limites d’une prise en charge sont celles du professionnel et ces limites influencent les aménagements du cadre.
Ainsi, que ce soit dans le cadre d’une thérapie, d’un coaching ou dans le couple et/ou le monde du travail, toute loi-cadre comprenant des règles va activer tout ce que nous venons de voir ci-dessus avec des revendications portées par les acteurs mis en cause. Ce qui amène à se poser la question d’une loi-cadre, c’est la volonté par les différents acteurs de vouloir se faire reconnaître dans leurs besoins d’être aimés, d’être reconnus et d’être désirés et de faire reconnaître l’économie psychique et systémique comme un mode d’expression. Ce qui nous intéresse en tant que formateurs, c’est de vous aider à comprendre l’importance de la relation transférentielle et qu’il est nécessaire que le professionnel sache gérer et utiliser ses contre-transferts dans le cadre ou analyser ce qu’il peut voir et entendre.
Ainsi le professionnel et toute personne qui s’intéresse à l’être humain et aux relations humaines, s’il n’a pas travaillé ses propres carences affectives surtout archaïques, s’il n’a pas travaillé la résolution du complexe d’Œdipe, s’il n’a pas une formation conséquente, ne peut apporter une réponse correcte, à la demande d’aide et de compréhension de l’individu souffrant.
Donc si ce professionnel-là, dans un lieu de confrontation à l’Autre, n’a pas osé aborder sa propre folie, risque de conforter cet Autre-là dans la similitude ou la complémentarité des folies en miroir et de toutes les compulsions de répétition qui pourraient se produire.
Un professionnel doit pouvoir savoir se remettre vite en question, c’est la raison pour laquelle nous insistons sur les Supervisions et les Intervisions des professionnels.
« Le transfert c’est de l’amour qui s’adresse au savoir. » (Lacan)
Le travail sur la relation transférentielle est le vecteur d’un espace de sens et de reconstruction dans l’espace d’interfantasmatisation et d’intersymbolisation entre deux personnes.
Le cours sur les relations transférentielles et/ou le transfert et le contre-transfert ne peut pas faire l’objet d’un article mais se doit d’être « transmis » lors d’un séminaire car la pratique, la clinique et l’implication personnelle sont essentielles pour en saisir le sens dans le laisser se dire ou s’exprimer là où le corps ou la parole habite le lieu de l’indicible.
La relation transférentielle invite l’Autre avec son univers affectif, émotionnel, imaginaire, subjectif et projectif dans une relation de dialogue habitée entre le corps et la parole. Le professionnel en tant qu’être humain dans sa dimension de présence au monde et à l’Autre se doit de se pencher et d’introspecter sa propre conscience pour appréhender la réalité extérieure au travers de sa réalité intérieure dont il a connaissance. Il est un moment, dans l’acception d’oser changer, où le professionnel va pouvoir entrer dans la subtilité de la relation transférentielle à travers le langage et le corps. Dans cet espace toute la dramaturgie de l’Autre va tenter de se dévoiler, exigeant non seulement d’être écoutée, reconnue et surtout rencontrée, mais surtout d’être soutenue par le professionnel. Pour cela, grâce au cadre et à une technique humaniste, le professionnel, en laissant émerger et en acceptant son contre-transfert pour le transformer plutôt que d’en répéter les mécanismes défensifs, va le mettre au service du transfert de l’Autre. Nous pouvons ainsi réfléchir sur « l’espace intime de la relation transférentielle » utilisée comme outil dans la thérapie et/ou le coaching en termes d’efficacité.
Le transfert est un phénomène qui se produit dans toutes les relations (thérapeutique, coaching, couple, amicale…) avec tous les supports projectifs qui font partie de l’entourage de la personne. C’est la projection d’images de représentations symboliques et/ou imaginaires qui résident dans l’inconscient.
Dans le cadre professionnel, si le transfert négatif latent n’émerge pas, là où le référent professionnel habite ses lieux de peurs et d’immaturité, alors, la transformation du transfert ne pourra pas se faire et la résolution du complexe d’Œdipe non plus.
Le transfert, dont le processus est répétitif (dans la cure, dans le couple, dans l’entreprise…), désigne le processus psychologique par lequel des comportements et des pensées inconscients et infantiles viennent s’actualiser dans une relation présente. Il dévoile donc une duplicité : erreur sur la personne et erreur sur le temps. Le transfert émerge dans la relation à l’Autre, in fine, c’est une forme de mise en acte de la réalité inconsciente déplaçant les affects d’une surface projective à l’autre, répétant ainsi le passé dans divers signifiants. Dans le couple, l’institution, l’entreprise, le transfert n’est que le résultat de la répétition d’un échec dans les choix.
Lors du séminaire, nous abordons les différents types de transferts : déplacement, sublimation, projections, introjections, identification, transfert et renouvellement remémoratifs et d’élaboration.
Or, travailler avec le transfert, ne doit pas consister, à notre sens, à réduire la relation au transfert. En effet, à la composante transférentielle répétitive, la rencontre peut ajouter une dimension possible d’innovation et de renouvellement.
Le contre-transfert
Le contre-transfert est la réaction inéluctable face au transfert de l’Autre. Le professionnel est la seule personne apte à gérer la dynamique appelée transfert/contre-transfert, d’où l’importance de la maturité du professionnel.
Au cours du séminaire, nous aborderons les points suivants :
* Le catalyseur du transfert : le transfert ne dépend pas toujours uniquement de l’Autre. L’environnement, le mode d’être et/ou la stratégie du professionnel peuvent activer le transfert. Le professionnel doit avoir conscience qu’il influence toujours la situation de transfert, hors de tout processus d’interprétation.
* Les contre-transferts :
– sentiments humains, empathie ;
– résonnance ;
– réactivation et contagion affective ;
– capacité à évoluer dans le cadre de référence de l’Autre ;
– percevoir l’Autre de l’intérieur ;
– de l’intérêt de s’impliquer dans la rencontre et de la réciprocité ;
– être à l’écoute de l’Autre existant et de sa dimension humaine ;
– ne pas juger ou demeurer enfermé ou inféodé dans ses croyances et ses peurs.
Erick Dietrich, Médecin, Sexologue, écrivain
Psychosomatoanalyste, Victimologue
Membre de la Fédération Française des Psychosomatothérapeutes
– https://www.psycho-ressources.com/erick-dietrich.html
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