L’amour, une alchimie

Rien n’est plus difficile que l’amour. Rien n’est plus complexe que la vie à deux. Pourtant, les couples heureux existent. Ce sont ceux qui ont réussi à surmonter les nombreuses illusions, les fausses croyances et ont appris à avoir des attentes réalistes. Décryptage.
Par Barbara Witkowska

Le Vif (N°40 / 3 octobre 2014)
http://www.levif.be

« Qu’il est difficile d’aimer« , chante le Québécois Gilles Vigneault. Ce n’est pas l’avis d’Yvon Dallaire, québécois lui aussi, conférencier, auteur de 25 livres sur les relations hommes-femmes dont quelques bestsellers.

A l’écoute des couples aux prises avec des problèmes parfois impossibles à résoudre, il a une expérience conjugale de plus de quarante ans. Ce chantre de l’amour heureux et grand spécialiste de la vie affective et sexuelle du couple donnera, ces 6 et 7 octobre, deux conférences à Bruxelles (1). Teintées d’humour, de légèreté et de bon sens afin de dédramatiser les difficultés conjugales, en somme tout à fait normales et faisant partie intégrante de la vie.

Barbara Witkowska : Nous vivons à l’époque de « Me, Myself and I ». L’amour entre un homme et une femme a-t-il encore sa place dans ce contexte ?

Yvon Dallaire : Actuellement, à cause justement d’une société très égocentrée et narcissique dont les membres démissionnent à la première difficulté, plus de 50% des couples (mariés ou non) divorcent, dont la moitié avant la cinquième année de cohabitation. On estime qu’environ 30% se résignent et s’endurent pendant des décennies. Il ne reste donc qu’un maigre 20% de couples heureux à long terme, la plupart du temps. Mais ce 20% constitue une preuve que le couple est encore possible et que l’amour peut durer au-delà du temps, des conflits inévitables et des problèmes insolubles.

B.W. : L’un de vos confrères, le psychologue québécois Guy Corneau, dit que « vivre en couple n’est pas une obligation ».

Y.D. : Ce n’est pas une obligation et des célibataires peuvent très bien être heureux à long terme. Mais disons que vivre à deux, c’est mieux et rend la vie plus facile. La preuve: les gens heureux en couple, ayant une sexualité satisfaisante, vivent de 7 à 9 ans plus longtemps que les gens malheureux en couple ou célibataires.

B.W. : Pour aimer l’autre, il faut d’abord s’aimer soi-même. Pourquoi tant de gens ne s’aiment-ils pas?

Y.D. : Effectivement, un grand psy a dit un jour: « Aime ton prochain comme toi-même. » La meilleure façon d’être malheureux, c’est d’avoir des attentes irréalistes ou infantiles: croire que l’on peut tout avoir sans faire d’efforts. Or, l’estime et l’amour de soi se développent à la sueur de notre front. C’est en accomplissant des choses, en atteignant des objectifs réalistes qu’on s’épanouit. Je ne me rappelle plus qui a dit un jour: « Les gens se préoccupent de leur bonheur alors que le bonheur, c’est d’être occupé à faire des choses intéressantes, agréables et conformes à ses attentes. »

B.W. : Aujourd’hui, beaucoup de gens hésitent à se lancer dans une relation amoureuse par peur d’engagement ou d’être rejeté. D’où vient cette angoisse?

Y.D. : Plus la peur d’être rejeté et plus la peur de l’intimité sont élevées, plus les gens auront peur de s’engager. Les hommes et les femmes qui ont confiance en eux et ne craignent pas l’intimité forment des couples engagés à long terme. Evidemment, si l’on vous a trompé ou si vous avez vécu des expériences d’abandon lors de votre enfance, il se peut que vos deux peurs (rejet et intimité) soient exacerbées. Mais si vos parents vous ont fait confiance, vous ont donné des responsabilités tout en vous exprimant leur affection, vous serez plus centré et aurez plus confiance en vous… et en l’autre.

B.W. : La communication est très importante dans un couple. Pourquoi, à l’ère de la communication, les femmes et les hommes communiquent-ils si mal?

Y.D. : On accorde beaucoup trop d’importance à la communication, surtout les femmes, lesquelles croient que communication = compréhension. La communication peut être à la fois source d’amour ou de mésentente, surtout si on l’utilise pour prouver à l’autre que : « J’ai raison, tu as tort », que l’on vise le consensus à tout prix et que le contenu est plutôt « merdique ». Contrairement à beaucoup de mes collègues psy (qui pratiquent la CNV ou communication non violente), mon expertise des couples heureux m’a démontré qu’ils s’envoient cinq à dix fois plus de compliments que de reproches. Ce n’est pas le « Tu » qui tue la communication, c’est ce qui vient après: une critique ou un compliment.

B.W. : Rares sont les couples qui expriment leur amour selon le même langage, dites-vous. Quel est-il?

Y.D. : Selon Gary Chapman, conseiller conjugal américain, il y a cinq langues d’amour : les paroles valorisantes, les services rendus, le contact physique (dont la sexualité), les cadeaux et les moments privilégiés où nous sommes sur la même longueur d’onde. Rares sont les couples où les deux parlent la même langue d’amour. D’où la nécessité de devenir bilingue pour être heureux à long terme. Et même lorsque les deux parlent la même langue, ils ont des accents (accent québécois versus accent belge). Par exemple, si le langage est celui des cadeaux, l’un peut préférer des cadeaux personnels et l’autre des cadeaux utiles.

B.W. : Pour faire durer l’amour, il faut avoir des attentes réalistes. Lesquelles?

Y.D. : Accepter l’autre tel qu’il est. Se mettre d’accord pour vivre avec des désaccords. Apprendre à désamorcer. Arrêter de chercher l’utopiste « âme soeur ». Accepter d’être in-compris. Cesser de chercher la fusion passionnelle. Trouver des routines agréables et en changer régulièrement…

B.W. : D’autres conseils pour que l’amour ne faiblisse pas?

Y.D. : Passer au moins cinq heures en tête-à-tête par semaine pour entretenir nos beaux souvenirs et préparer des projets d’avenir à court (un an), moyen (cinq ans) et long terme (retraite).

B.W. : A Bruxelles, vous allez également parler de la survie d’une famille recomposée. Quels sont les principaux « dangers »?

Y.D. : Aux six sources de conflits insolubles des premiers couples (argent, enfant, belle-famille, partage des tâches ménagères, invasion du travail dans la vie privée et sexualité), il faut ajouter deux nouvelles sources qui font que le taux de divorce des familles recomposées est de 15 à 25% plus élevé: l’envahissement des « ex » et la résistance des enfants de chacun à la venue d’un « étranger ».

B.W. : Pourquoi certaines familles recomposées connaissent-elles moins de problèmes que d’autres?

Y.D. : Comme pour les premières familles, c’est parce que les partenaires se sont très bien entendus, même au-delà de leurs désaccords, sur les principes éducatifs communs à mettre en pratique, dont toujours appuyer l’autre dans sa façon d’intervenir auprès des enfants, y compris des siens. Donc, chaque nouveau conjoint doit donner un certain pouvoir à l’autre sur ses propres enfants. Les enfants ont comme devise « diviser pour régner ». Donc, être solidaires devant les enfants, les siens et ceux de l’autre.

B.W. : Nous sommes tous à la recherche de nouvelles manières de vivre en couple et en famille. Y parviendrons-nous tout seul ou devra-t-on se faire aider par des psys?

Y.D. : A l’amour et à la bonne foi, absolument nécessaires pour la réussite d’un couple, il faut ajouter les connaissances des petites différences « homme-femme » et des dynamiques conjugales plus ou moins conscientes. Il faut aussi faire les efforts nécessaires pour arrêter de faire ce qui ne fonctionne pas. Par exemple : donner des conseils non sollicités, pour les femmes, ou arrêter de croire que l’on peut acheter la paix, pour les hommes. En dernier lieu, il faut faire les efforts nécessaires pour mettre en pratique ce qui fonctionne: complimenter, jouer ensemble, être toujours positif, exprimer ses besoins et non ses frustrations ou ses émotions désagréables, faire des projets…

B.W. : Votre mot de conclusion?

Y.D. : Pour être heureux en couple, il faut mettre les quatre cavaliers de l’Apocalypse à la porte: la critique, la défensive, la fuite et le mépris. (B.W.)

Par Barbara Witkowska
Le Vif (N°40 / 3 octobre 2014)
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