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Les paradoxes de l'amour 
Par Yvon Dallaire, Psychologue, Québec, Canada.
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Voir aussi du même auteur :
- Qui sont ces couples heureux (livre)
 
- Votre couple est-il en équilibre ?
- Les étapes de la vie amoureuse
- La séduction: un art à développer
- À propos de la rupture...

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Les paradoxes de l'amour

Tous les couples semblent évoluer de la même façon : séduction et passion au début ; installation dans la routine quotidienne ; lutte pour le pouvoir plus ou moins intense au fur et à mesure que les enfants et les responsabilités s’accumulent ; résignation ou… divorce. Et ceux qui divorcent recommencent le même scénario, en vitesse accélérée. Pourtant, tous les couples veulent être heureux. Comment se fait-il que le pire semble nécessairement arriver après le meilleur ? Serait-ce à cause des paradoxes inhérents à la relation amoureuse ?

Qu’est-ce qu’un paradoxe ?

Carl Gustav Jung a dit : « Là où règne l'amour, point de volonté de pouvoir ; là où prédomine le pouvoir, l'amour n'a pas sa place. L'un à l'autre porte ombrage ». Pourtant, toute relation amoureuse est teintée de lutte pour le pouvoir, ce qui semble tout à fait paradoxal.

Le Petit Robert donne du paradoxe trois définitions :1. Opinion qui va à l'encontre de l'opinion communément admise ; 2. Être, chose, fait qui heurte le bon sens ; 3. En logique, se dit d'une proposition qui est à la fois vraie et fausse. (Voir les quatre exemples de paradoxe.) Le paradoxe est donc quelque chose qui n'est pas évident à première vue, mais qui résiste bien à l'analyse.

Exemples de paradoxes

1. Le sommeil paradoxal constitue la phase pendant laquelle ont lieu les rêves : le relâchement musculaire y est maximal et pourtant les ondes cérébrales rappellent celles de l'état de veille. Nous sommes à la fois profondément endormis et... presque conscients.

2. L'intention paradoxale consiste à obtenir le contraire de ce que nous voulons. Essayez donc de vous débarrasser d'une rengaine qui vous obsède ; pourtant celle-ci disparaît d'elle-même lorsque vous arrêtez vos efforts et la chantez à voix haute. C’est ainsi que nous avons réussi à traiter des insomniaques chroniques en leur interdisant de… dormir.

3. Le paradoxe du menteur : « Je mens ». Si le menteur dit qu’il ment, il dit donc la vérité ; il n’est donc pas menteur. Qui croire ?

4. L'éjaculateur précoce fait des efforts immenses pour contrôler son éjaculation, sans y parvenir. Ses efforts deviennent ainsi la source de sa difficulté.

Tous les paradoxes de la vie amoureuse tournent autour du désir de fusion passionnelle (1 + 1 = 1) et de la tendance à la différenciation : je t’aime, mais je ne suis pas toi ou à toi.

Quand un couple arrive en thérapie, on retrouve presque toujours la même dynamique. Chaque fois, les mêmes revendications, les mêmes reproches, les mêmes insatisfactions, les mêmes illusions. Et à chaque fois, les attentes de monsieur, les espoirs de madame apparaissent tout à fait légitimes. Les deux partenaires sont généralement remplis de bonne volonté et sont réellement désireux d'améliorer leur relation de couple. Pourquoi alors viennent-ils en thérapie ?

Il est toujours surprenant de constater comment une relation basée sur une attirance mutuelle, une passion réciproque et le désir de réaliser les mêmes rêves peut, en quelques années de vie commune, se développer en guerre froide nécessitant l'assistance d'un thérapeute ou d’un médiateur. Comment un tel mur d'incompréhension peut-il se construire entre deux êtres qui s’aiment ?

1er paradoxe : Avant tu m'excitais, maintenant tu…

L'une des raisons de cette évolution, c'est justement le fait que ce qui, au départ, nous attirait chez l'autre devient ce qu'aujourd'hui, je ne peux plus sentir. Des exemples :

1. Il avait tellement l'air sûr de lui, toujours rempli de beaux projets ; il la surprenait sans cesse avec des idées toujours nouvelles ; il lui inspirait tellement de confiance ; il avançait ses idées de façon experte et logique et pleine de bon sens... qu’elle s’est dit : « Enfin un homme qui sait ce qu’il veut, un homme solide sur qui je vais pouvoir compter, pas un de ces hommes qui a peur de tout, qui n'ose pas foncer, qui a peur de s'affirmer ou de s'exprimer... ». Et elle est devenue amoureuse. Aujourd'hui, il n'a pas changé : il est toujours prêt à conquérir le monde, à réaliser ses rêves. Mais, elle aimerait donc ça qu'il arrête de s'activer et qu'il passe des soirées sentimentales, seul à seule avec elle ; elle aimerait tellement ça parler seulement d’eux et non plus de travail ou du jour où ils seront devenus riches.

2. L'inverse aussi peut être vrai. Elle était tellement tannée des machos, de ces hommes qui ne pensent qu'à eux et à conquérir le monde que lorsqu’elle l’a rencontré, elle a été subjuguée. Il était prévenant, gentil, enveloppant ; il comprenait tellement bien tous ses états d'âme ; il devinait ses besoins, à l'avance. Quand elle l’a vu essuyer une larme lors d'un film d'amour, elle était sûre d'avoir enfin trouvé l'homme nouveau, l'âme sœur, l’homme rose avec qui elle pourrait enfin communiquer sur la même longueur d'onde et parler d’émotions. Et elle est devenue amoureuse. « Aujourd'hui, j'étouffe, je manque d'air, y colle, y'é toujours là, toujours à tourbillonner autour de moi comme une vraie mouche à m... Y pourrait pas prendre des vacances et me laisser toute seule à la maison. J'aimerais ça passer une soirée sans entendre mon p'tit pitou par ci, mon p'tit pitou par là. » 

3. Autre exemple. Elle était tellement enjouée, excitante, vivante, pleine d'humour ; elle devenait facilement le clou de la soirée et tout le monde l'admirait ; il n’a pas pu faire autrement que d'être envoûté. Et elle s'est intéressée à lui ; il n’en revenait pas. « Nous avons fait la fête, nous avions beaucoup d'amis et d'invitations. Un vrai feu roulant, j'étais excité et nous faisions l'amour tout partout. » Mais… « Aujourd'hui, je suis tanné de la voir faire tous ces sparages pour continuer d'attirer l'attention de tous et chacun. Je suis jaloux de l'admiration et du désir que je vois dans les yeux des autres hommes. Et pourtant, c'est comme ça qu'elle m'a eu. Aujourd'hui, je suis fatigué de tous ces soirées. J'aimerais ça l'emmener sur une île déserte, mais elle dépérirait. »

4. Là aussi, l'inverse peut être vrai. Elle était tellement réservée, observatrice, censée ; elle ne parlait pas pour rien dire ; jamais, elle n'a eu un geste ou une parole déplacée. Une femme sérieuse qui n'essayait pas de jouer à la vedette. Au début, elle était réticente, résistante, mais sa réserve a stimulé son désir de la conquérir. « J'étais tanné des conquêtes faciles et des "one night stand". Tout s'est fait graduellement, pas à pas ; nous n'avons fait l'amour qu'après quatre mois de fréquentations. Aujourd'hui, je me rends bien compte que tout ça n'était que de la timidité ; c'est une femme constipée, incapable de dire tout haut ce qu'elle pense tout bas, toujours dans son coin. Et quand, j'ai le goût de faire l'amour, j'vous dis qu'il faut que je m'y prenne de bonne heure. »

Tous ces exemples démontrent l'un des processus tout à fait normal de la recherche d'un partenaire : je recherche quelqu'un qui me complète, quelqu'un qui satisfasse mes besoins ; je recherche chez l'autre ce qui me manque. Mais une fois que ce besoin est comblé, une fois le vide rempli, ce qui a été perçu comme une qualité devient souvent un défaut.

C'est comme quand, enfant, après notre collecte de bonbons à l'Halloween, nous revenions à la maison les yeux brillants, la bave dégoulinant et que nous nous empiffrions. Vous connaissez la suite : l'estomac finit toujours par régurgiter ce qui nous faisait baver d'envie.

2e paradoxe : Les amants intimes sont aussi des ennemis intimes

Au fur et à mesure que deux personnes apprennent à se connaître, leur admiration réciproque augmente, du moins au début. Mais vient un temps où, après la phase de séduction, les imperfections de mon partenaire ressortent. L'une des raisons pour laquelle la majorité des coups de foudre ne dure pas, c'est que plus il y a de passion, plus nous sommes en amour avec une image idéalisée de l'autre, non pas avec la personne réelle. Lorsque la passion est assouvie, le coup de foudre résiste rarement au test de la réalité. Les déceptions s'accumulent et mettent fin à la passion, et à la relation.

Un phénomène semblable existe dans tous les couples. Au début, nous ne voulons pas voir les défauts de l'autre ; nous nous disons qu'avec le temps, cela va s'améliorer. D'un autre côté, notre désir de l'autre, notre désir de séduire est tellement fort que nous nous montrons sous notre meilleur jour, nous cachons nos petites lacunes. Les hommes ne sont jamais aussi communicatifs qu'au début d'une relation ; les femmes ne sont jamais aussi réceptives sexuellement qu'au début d'une relation. 

Mais, une fois la séduction passée, une fois le couple établi, une fois la vie quotidienne installée et les habitudes prises, les charmants petits défauts du début prennent de l'ampleur : le même cinq minutes de retard devient… « Tu te fiches complètement de moi ». Au début, on se taquine sur ses défauts ; on se blesse involontairement, on se pardonne. Mais on apprend aussi les points sensibles de notre partenaire et, malheureusement, après un certain temps, on en arrive à enfoncer des pieux dans ces points sensibles lors de désaccords ou de confrontations.

Deux personnes qui vivent ensemble ne peuvent pas ne pas finir par se tomber un peu sur les nerfs. Le linge qu'elle laisse traîner, les poils de barbe dans le fond du lavabo, ses longues conversations au téléphone, son (maudit) sport du samedi soir, ses bigoudis sur la tête, sa douche qu'il ne prend pas assez souvent, son k… de journal, « Maudit que t'es chialeuse ! » « Tu pourrais pas arrêter de zapper des fois... » Une foule de petites choses prennent de l'ampleur et deviennent sources de frustration jusqu'au moment où le verre déborde.

Deux amants intimes doivent apprendre à gérer ces frustrations quotidiennes. Deux amants intimes doivent savoir qu'ils sont aussi deux ennemis intimes. Une relation de couple, c'est : « Je t'aime ET j't'en veux ».

3e paradoxe : La passion tue le désir

Le désir porte en lui-même le germe de sa destruction, car une fois le désir assouvi, il disparaît. Au même titre que la faim disparaît après un bon repas. Par définition, je désire ce que je n'ai pas, pas ce que je possède. Au début d'une relation, en pleine séduction, le désir se renouvelle rapidement, dû à l'insécurité et à l'anxiété face à cette relation. Mais, à la longue, ce désir ne peut faire autrement que de s'atténuer et la fréquence des soupers en tête à tête et des relations sexuelles diminuer. Cette saturation du désir est due à la plus grande disponibilité du partenaire, à sa plus grande présence, au fait de considérer l'autre comme acquis. C’est aussi la conséquence de l’adaptation hédonique : même les plaisirs les plus intenses finissent pas devenir ordinaires.

Lorsque dans un couple, il y a baisse ou perte de libido, je m'informe toujours à quand remonte la dernière fois où chacun a pris des vacances tout seul, sans la présence du partenaire. Et presque immanquablement ces couples vivent ensemble depuis qu'ils se connaissent, sont toujours ensemble, font tout ensemble. Et quand il y a des enfants, c'est la famille qui prend le dessus. Il n'y a plus de place pour le couple, encore moins pour chacun des individus formant ce couple.

La distance est nécessaire à la survie du désir du couple et à la durabilité de la relation. La distance laisse place à l'imaginaire, au fantasme, au désir de retrouver l'autre. Nos relations sexuelles ne sont jamais aussi intenses qu'après une séparation temporaire, volontaire ou non. C'est quand l'autre n'est pas là, que je me rends compte comment et combien je le désire. Évidemment, si je me sens mieux lorsque l'autre est absent…

4e paradoxe : Le paradoxe de la communication

Aujourd'hui, de nombreux livres de psychologie insistent sur l'importance de la communication. Plusieurs soulignent même le fait que dans un couple il faille tout se dire, tout communiquer pour mieux se comprendre. « Les frustrations et les émotions qui ne s’expriment pas, s’impriment et nous dépriment » semble être le leitmotiv des promoteurs de la communication à tout prix. Je suis loin de partager cette mode « psychopop », parfois véhiculée par des professionnels conjugaux. Une critique, même exprimée de façon non violente, demeure toujours une critique. La communication est souvent source de conflit, comme tous les couples peuvent facilement le confirmer. Des exemples :

1. Est-il vraiment nécessaire que je dise à ma partenaire qu'aujourd'hui j'ai vu une « très belle femme » au bureau et que je me suis surpris à la fixer et à fantasmer sur ce qu'aurait pu être ma vie avec elle, ou du moins une nuit ?

2. Est-il vraiment nécessaire de dire à mon ou ma partenaire qu'hier soir, pendant que nous faisions l'amour, j'ai revu en fantasme une scène du dernier film érotique ou d'amour que nous avons visionné ensemble ?

3. Est-il vraiment nécessaire que je communique à l'autre tous les emmerdements que j'ai eu au cours de la journée et l'écœurement total que j'éprouve en ce moment ?

4. Est-il vraiment nécessaire que je lui dise que je ne peux plus sentir sa mère ou son frère ?

Ne vaut-il pas mieux sélectionner ce que je peux communiquer à mon partenaire ? Sélectionner les belles choses et partager davantage les bons moments, les bons sentiments. Je ne crois pas pratiquer la politique de l'autruche en ce faisant : je crois plutôt que j'ai plus de chances de récolter ce que je sème. Ce ne sont pas les frustrations ni les émotions qu’il faut exprimer, mais bien les besoins sous-jacents.

Il n’y a pas de doute qu’on doive communiquer pour approfondir notre intimité. Mais le paradoxe est que plus on approfondit nos pensées et nos émotions en communiquant, plus on augmente les probabilités d’incompréhension, d’interprétation, de déception : « Jamais je n’aurais crû que tu puisses penser une chose pareille ; je ne te reconnais plus ». Si, en plus, la communication se fait à propos de conflits insolubles, elle ne pourra qu’accentuer les divergences.

Le paradoxe de la communication réside donc 1. dans le fait qu'il n'est pas nécessairement bon de tout communiquer, que 2. la communication - communion est une illusion et que finalement 3. la communication augmente souvent la tension dans un couple. La solution à ce paradoxe réside dans l'écoute, apprendre à écouter, l'une des choses les plus difficiles à faire, mais qui peut devenir très rentable pour le couple.

5e paradoxe : Toute relation amoureuse est déséquilibrée

Comme le disent si bien Delis et Phillips dans Le paradoxe de la passion (Laffont) : « L'un des partenaires est (généralement) plus amoureux (ou plus investi dans la relation) que l'autre. Et plus ce partenaire demande de l'amour à l'autre, moins ce dernier est disposé à lui en donner. Le partenaire le plus amoureux se trouve ainsi en position de dépendance tandis que le moins amoureux est en position de dominance. »

Au début des histoires d'amour, les deux partenaires sont dans le même état : désireux de construire la relation et incertains de pouvoir le faire. Ce qui fait que les deux augmentent leur pouvoir de séduction et vont tout faire pour s'assurer le contrôle émotionnel de l'autre afin de conjurer la peur d'être rejeté, i.e. tout faire pour gagner l'amour de l'autre.

Mais il y a un risque. Si vous vous montrez trop acharné à séduire l'être que vous désirez et que vous réussissez à le rendre plus amoureux de vous que vous ne l'êtes de lui, l'équilibre se rompt et vous devenez le dominant ou le contredépendant. Dans le cas contraire, si l'attitude détachée de l'autre vous angoisse, vous devenez le dépendant. Le désir même de séduire, de prendre un pouvoir émotionnel sur l'autre contient un facteur de déséquilibre relationnel car « tomber » en amour, c'est perdre le contrôle.

La passion du début d'une relation ne peut durer : nous le savons. Après la séduction s'installe généralement une phase de consolidation de la relation. Mais si l'un des partenaires est plus épris que l'autre, une dynamique néfaste pour le couple s'installe : plus le dominant s'éloigne, plus le dépendant fait des efforts pour re-séduire l'autre afin de conjurer le sentiment d'insécurité et de satisfaire son besoin de rapprochement, ce qui fait fuir le dominant. Et le cercle vicieux s’installe : « Plus tu me fuis, plus je te poursuis. » ou « Plus tu me poursuis, plus je te fuis. »

Comme on peut le constater vivre à deux nécessite de développer la capacité de gérer des paradoxes.

Yvon Dallaire, Psychologue, Québec, Canada.
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