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Pour une conception intégrative de la psychothérapie
et de la formation en psychothérapie.

Par Françoise Zannier
Psychologue, Psychothérapeute, Paris, France

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POUR UNE CONCEPTION INTÉGRATIVE DE LA PSYCHOTHÉRAPIE 
ET DE LA FORMATION EN
PSYCHOTHÉRAPIE

EXTRAIT DE MÉMOIRE DE DEA

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1. DÉFINITIONS ET HISTORIQUE DES NOTIONS
« En méditant philosophiquement sur chaque notion, on verrait aussi plus clairement le caractère polémique de la définition retenue, tout ce que cette définition distingue, retranche et refuse ».
G. Bachelard. 

1.1. PSYCHOTHÉRAPIE 

Une revue de la littérature montre qu'il n'y a pas de consensus autour du terme psychothérapie. C'est pourquoi, on ne trouvera pas ici une définition simple et univoque, mais plutôt des propositions de définition, visant à rendre compte de ce concept. Cet état des choses est certainement, en partie, le pendant de l’absence de définition univoque des notions de santé mentale et de maladie : «… il n’y a pas de définition généralement acceptée de la santé et de la maladie »[1] . Ceci est sans doute aussi une des raisons pour lesquelles, N. Sienelnikoff rapporte que « beaucoup de « bien-portants » sont des consommateurs de psychothérapies »[2]. Il apparaît notamment qu’un usage « profane » du mot « psychothérapie », coexiste avec celui qu'en font la plupart des professionnels...Pour cette raison, bien des demandes de « psychothérapie », sont en réalité des demandes de conseil ou d’aide psychologique, ce qui contribue à entretenir une certaine confusion…cela étant, l’usage « savant » du terme, doit-il primer sur celui qu’en fait le public, c’est à dire sur la réalité sociologique du phénomène ? ce n’est pas évident…

Le rapport sur la santé dans le monde 2001[3] soutient cette conception polysémique : « plusieurs techniques et démarches fondées sur des théories différentes se sont révélées efficaces pour le traitement de certains troubles mentaux et du comportement. On peut citer à cet égard la thérapie comportementale, la thérapie cognitive, l'entretien en face-à-face, les techniques de relaxation et la thérapie de soutien (techniques de conseil) (OMS, 1993b) ».

G. Apfeldorfer [4], quant à lui, explique : « Psychothérapie : il n’est de définition plus floue , qui recouvre tout aussi bien des techniques codifiées, des pratiques ayant conduit à des théorisations sophistiquées, un bavardage amical entre patient et thérapeute… on serait en droit de penser que de tels écarts... devraient engendrer des écarts comparables dans les résultats. Il n'en est rien : ainsi, dans bon nombre de pathologies, les résultats thérapeutiques diffèrent peu selon la théorie et l'école de pensée thérapeutique… mais grandement d'un thérapeute à l'autre... On en est alors réduit à invoquer... ce qui fait que la psychothérapie n'est en rien une science mais reste un art». 

Outre ces faits, dont on ne saurait dire si, à l’instar de la poule et de l’œuf, ils sont la cause ou la conséquence de ce qui suit…, force est de constater que l’absence de réglementation de l’exercice de la psychothérapie, contribue à entretenir cette situation. 

Comme l’observe Tobie Nathan [5], « en l’état actuel des choses, n’importe quel groupement peut s’intituler Ecole de Psychothérapie… ». En effet, on constate l’existence d’écoles privées, oeuvrant à partir d’un modèle unique et auto-référentiel, (portant souvent le nom du ou des « patrons » de cette école), dont les bases théoriques sont opaques et confuses : les emprunts théoriques et les filiations terminologiques sont rarement explicités, des concepts flous, voire fantaisistes, recouverts d’un vernis scientiste, sont sensés expliquer des mécanismes dont la vraisemblance paraît toute aussi douteuse… Par contre, ces écoles s’appuient ostensiblement sur le charisme de leur(s) dirigeant(s), ainsi que sur la puissance financière de leur(s) organisation(s)… toutes choses qui prédominent largement, semble-t-il, sur l’originalité et sur la pertinence de leurs conceptions.

Alain Blanchet [6] décrit cette situation de la manière suivante : « nous observons ou constatons que le paysage des pratiques est pour le moins confus : - des dizaines d'obédiences, de chapelles proposant des produits parfois peu identifiables ; - des modèles et pratiques définis par la seule référence à leur promoteur et initiateur (Freudien, Lacanien, jungien, reichien, rogerien, ericsonien, beckien, etc…) ; un manque d'étayage des pratiques sur des connaissances scientifiques avérées, et donc une absence d'évolution, de progrès, et le risque associé d'une acceptation sans critique de principes dogmatiques ; des modèles explicatifs et praxéologiques souvent incompatibles entre eux ; - des transmissions de savoir-faire privés impliquant des relations de subordination à des maîtres, voire s'effectuant par des processus de type initiatique ».

Sur cette même question, Tobie Nathan [7] précise : « en France, toutes les écoles de psychothérapie, (écoles de psychanalyse -il en existe au moins une vingtaine-, de psychothérapie humaniste, de Gestalt, d'hypnose, de bioénergie, de thérapie familiale ) sont des institutions privées dont le fonctionnement réel est rendu particulièrement opaque du fait que les formateurs sont aussi les thérapeutes (ou les anciens thérapeutes) de leurs élèves. On devine les problèmes de pouvoir, de légitimité, les demandes de reconnaissance, les ruptures et parfois les véritables psychodrames que peut engendrer une telle organisation de la formation. »

W. Huber confirme ainsi ce qui précède : «Il n'y a pas encore de description et de classification unitaires des formes de psychothérapies. De plus, les différentes méthodes psychothérapeutiques ne sont jusqu'à présent pas le seul résultat d'un développement scientifique interne, mais elles ont également été influencées par des facteurs personnels, des conditions sociales et de politique professionnelle »[8]. En tout état de cause, l’existence de fait d’une profession de psychothérapeute, et le lobbying auquel se livrent les organisations des dits psychothérapeutes, pour obtenir la création d’un titre dont elles prétendent être les seules à détenir la légitimité, montrent s’il en est besoin, comment les enjeux cliniques peuvent parfois s’effacer au profit des enjeux politiques et économiques.

Quoi qu’il en soit du débat qui précède, et pour en revenir aux différents types d’« aide psychologique », qui en est l’ expression générique, on trouve dans la littérature des notions telles que : suivi, accompagnement, counselling, coaching, entretien clinique à visée psychothérapique[9], psychothérapie de soutien[10], psychothérapie médiatisée, psychothérapie spécifique…Selon W. Huber [11], « l'intervention psychologique se définit comme une action professionnelle scientifiquement fondée et empiriquement évaluée (contrôlée) qui opère par des moyens et méthodes psychologiques, au niveau de l'expérience vécue et du comportement, ayant pour fin le développement ou la réhabilitation d'une personne, ou encore la prévention ou le traitement de troubles. Le traitement ou la thérapie de troubles déjà manifestes… n'est pas poursuivi par la seule psychothérapie au sens restreint, mais plus généralement par toute intervention psychologique clinique. La notion de psychothérapie ne couvre donc qu'une partie de toutes les interventions faites sur des troubles ». Selon Huber, encore : « Une classification ordonne les méthodes d'intervention en fonction de leur centre de gravité en distinguant trois groupes (prévention, réhabilitation et conseil ; intervention de crise et accompagnement ; psychothérapie au sens restreint).

On voit à travers les développements qui précèdent , que la notion de psychothérapie est à la fois polysémique et controversée, tout ceci compte-tenu des différents usages du terme qui sont fonction des locuteurs et des contextes…et aussi des enjeux que ce terme recouvre.

C’est pourquoi, de notre point de vue, on ne peut que se réjouir du projet de création d’un doctorat d’exercice de la psychothérapie, c’est à dire d’une formation universitaire diplômante, qui respecterait au mieux les valeurs de la science et celles de la démocratie, et qui permettrait de mieux contrôler l’accès à la fonction psychothérapeutique. Nous rejoignons en cela la position suivante : «Je suis de ceux qui pensent que l'université offre les garanties que ne présentent pas les écoles privées : multiplicité des choix théoriques, ouverture à la recherche et aux innovations, habitude des validations les moins subjectives. Une formation universitaire à la psychothérapie permettrait par exemple que les futurs psychothérapeutes acquièrent plusieurs techniques de psychothérapie et ne restent pas, comme c’est si souvent le cas aujourd'hui, les adeptes inconditionnels, les dévots définitivement fascinés par la technique dans laquelle ils ont été un jour initiés[12] »

1.2. ÉCLECTISME

Dans le Dictionnaire Petit Robert, se trouve la définition suivante : « Philo. : Ecole et méthode philosophique de Potamon d'Alexandrie recommandant d'emprunter aux divers systèmes les thèses les meilleures quand elles sont conciliables, plutôt que d'édifier un système nouveau. Par ext. : Disposition d'esprit de celui qui n'a pas de goût exclusif, ne se limite pas à une catégorie d'objet».

M. Marie-Cardine et O.Chambon en présentent une synthèse : « Ce terme provient dans l'étymologie, du grec Eklegein, qui signifie choisir. Il implique l'idée d'un choix réalisé entre plusieurs objets ou plusieurs idées, et il prendra le sens général, au XIXe siècle, de celui qui n'a pas de goût exclusif, qui s'opposera ainsi à celui qui est exclusif, sectaire. Il a désigné un mouvement philosophique dont on retrouve la trace au Ve siècle avant notre ère. Il s'agissait d'une école et d'une méthode philosophique qui préconisait de pratiquer un choix parmi les opinions considérées comme vraies - tout au moins partiellement et si elles étaient conciliables - pour en constituer une doctrine censée représenter la vérité et la croyance générale de l'humanité. Se posait alors le problème du choix des critères et du moyen de reconnaissance de la part de vérité de chacun des systèmes ; ce moyen était la raison universelle, (que) l’homme a toujours invoquée depuis cette époque... Très tôt, le mouvement éclectique montre ses limites : tentative idéale d’aboutir aux meilleures synthèses, mais risque permanent de tomber dans la confusion, l’inconsistance de la dispersion. L'histoire montre qu'il a sans doute mieux réussi dans le domaine de l'art que dans le domaine de la philosophie…». Pour les raisons qui précèdent, ce terme est très ambivalent : il peut suivant les auteurs, signifier le meilleur, ou alors au contraire, le pire. Par conséquent, il est utilisé à des fins très contradictoires.

Dans les versions « pro-éclectisme », se trouvent des énoncés comme ceux qui suivent :- « l'histoire de la philosophie avait promu la doctrine éclectique qui combattait le fanatisme et l'intolérance… » ; - « Ce n'est pas de l'éclectisme mais une honnêteté minimale : reconnaître les trouvailles soit de sensibilité, soit d'intelligence.... » ; - « Saviez-vous que le contraire de l’éclectisme, c’est la monomanie ? … »[13] ; - « On ne peut plus négliger l’apport des cliniciens ou théoriciens de grande valeur, quelquesoit leur orientation théorique »[14]. A l’opposé, dans les versions « anti-éclectisme », voici quelques exemples d’arguments : - « Votre éclectisme n'engendre-t-il pas un risque de dispersion ? » - « L’éclectisme, ce sont des greffes dangereuses, du bricolage. ... » - « L'éclectisme peut devenir un moyen facile de faire l'économie de la rigueur, de la cohérence, de la connaissance un peu approfondie du domaine ou de toute "théorie". » - « L'Éclectisme est né d'une sursaturation de tout, une folie… Un bilan absolu de toutes les philosophies et des courants de pensées que la planète ait portés. » [15].

Pour finir, il est à noter que l'éclectisme en psychothérapie, n'est généralement pas utilisé comme on vient de le voir en philosophie, aux fins d'établir une synthèse unique de tous les systèmes de pensée. Il est admis que les différentes conceptualisations en matière de psychothérapie reposent sur des postulats philosophiques souvent incompatibles entre eux. C'est pourquoi l'éclectisme dont il est question ici, intervient à un niveau intermédiaire entre la théorie et la pratique. Il s’agit la plupart du temps d’un éclectisme technique, qui n'implique pas l'adhésion aux concepts théoriques auxquels les procédés utilisés se réfèrent. C'est d'ailleurs en quoi l'éclectisme se distingue de l'intégration qui, pour la plupart des auteurs, cherche à intégrer les points communs dans des métathéories généralisantes.

1.3. INTÉGRATION

« Intégration provient du latin integer, entier, pur, et integrare, rendre complet, achever, et désigne le fait de faire entrer une partie dans un ensemble. En mathématiques, l'intégration est largement employée : cette opération définit la grandeur limite de la somme des quantités infinitésimales en nombre indéfiniment croissant. En philosophie, il correspond à l'établissement d'une interdépendance étroite entre les différentes parties d'un organe vivant, d’une société. En psychologie, ce terme fait référence à l'incorporation de nouveaux éléments dans un système… on le retrouve également en physiologie, en économie politique, sociale, etc.. Ses synonymes sont : assimilation, fusion, incorporation, unification... Il s'agit donc bien un aspect complémentaire de l'éclectisme ».Cependant, là encore, il convient de relativiser la définition de ce terme en fonction du contexte des psychothérapies, où il est employé : « il ne s'agit pas d'une entité monolithique ni d’un système unique... ». Ce mouvement présente en réalité une immense hétérogénéité. Il oblige à dépasser le simple mélange technique de méthodes pour s'engager dans une élaboration théorique ou conceptuelle. Quoi qu’il en soit, il paraît utile de rappeler que si l'éclectisme technique, l'intégration théorique, et l'approche des facteurs communs, sont les trois voies vers l'intégration, il n'est pas si évident de distinguer ces trois modes dans le travail clinique : les distinctions entre ces trois termes sont plus d’ordre sémantique et conceptuel, que fonctionnel[16].

D’après Norcross et Newman, les obstacles à l'intégration sont les suivants : 1) Le fanatisme partisan et les luttes de territoire des psychothérapeutes des systèmes « purs », est le problème le plus important.2) L'insuffisance de la formation à la thérapie éclectique intégrative, est citée en deuxième position 3) Les divergences ontologiques épistémologiques, c'est-à-dire des postulats de base parfois contradictoires sur la nature humaine, les causes déterminantes du développement de la personnalité et les origines de la psychopathologie (Messer,1992) 4) L'insuffisance des recherches sur l'intégration en psychothérapie. 5) L'absence d'un langage commun, notamment les barrières linguistiques, épistémologiques et sociales qui s'opposent au rapprochement.

À l'opposé, des points de complémentarité et/ou de convergence sont décrits : 1) Il est fait référence à un éclectisme normatif, en dépit des pensées et des écoles délimitées[17]. Il est bien rare en effet que les thérapeutes n'utilisent pas les concepts étrangers à leur orientation, fût-ce pour s'y opposer. 2) La prétendue rivalité des systèmes thérapeutiques peut être considérée comme une saine diversité, compte-tenu notamment de l'interaction des cognitions, des comportements et des affects… « la centration sur une composante plutôt que sur une autre devrait sans doute se faire en fonction des caractéristiques du patient plutôt que de la formation du thérapeute » (Driscoll). 3) Chaque modalité et orientation a son « domaine d'expertise particulier » et leurs interrelations peuvent compenser leurs faiblesses respectives (Pinsof). On aide les gens en leur permettant de traduire leurs prises de conscience en actions (Wachtel), mais le style psychanalytique peut permettre de formuler des hypothèses sur la façon dont le patient organise sa perception du monde (Fensterheim)…4) L'utilisation de la recherche pour nourrir la pratique, et son affinité avec l’intégration, sont comprises comme pouvant renforcer ce mouvement, au travers de l'approfondissement des similitudes entre différentes orientations pour identifier des mécanismes généraux du changement, et du développement de méthodologies opérationnelles pour l'étude de l'intégration.

1.4. PLURIDISCIPLINARITÉ ET INTERDISCIPLINARITÉ

Nous avons voulu mettre ces notions en relief, dans cette partie, parce que selon nous, l’éclectisme et l’intégration en psychothérapie ne vont pas sans s’y référer. D’ailleurs, ces concepts sont peut-être plus appropriés que les précédents, car les questions qu’ils soulèvent sont plus fondamentales et ne concernent pas seulement la psychothérapie, mais encore toutes les sciences. C’est pourquoi nous empruntons à Pierre Delattre, la position suivante de la problématique :

« C’est un lieu commun de constater que notre connaissance du monde s’est subdivisée en secteurs de plus en plus nombreux et de plus en plus étroits…cet état de fait est la conséquence de la spécialisation rendue nécessaire par l’accroissement des connaissances et par la diversification des moyens d’investigation…cette spécialisation a eu pour conséquence une véritable ségrégation des disciplines. Les cloisonnements sont devenus aujourd’hui tellement marqués que le danger qu’ils présentent ne peut plus être ignoré. Les jargons ont fait de la science une véritable tour de Babel où chacun, dans son propre domaine, pose et traite ses minuscules problèmes sans trop se soucier de la signification ou des conséquences que ceux-ci peuvent avoir dans d’autres domaines. La nécessité de remédier à cette situation est apparue de plus en plus clairement au cours des dernières décennies… les limites ressenties à l’intérieur de certaines disciplines et le besoin corrélatif de rechercher ailleurs des idées ou des méthodes renouvelées ont agi dans le même sens… c’est ainsi que sont nées des spécialités mixtes…. Le souci proprement humaniste d’une certaine unité du savoir, qui est le meilleur garant contre tous les obscurantismes, a trouvé un regain d’actualité du fait même de la dispersion et de l’hétérogénéité des connaissances. Toutes ces préoccupations concernant les échanges souhaitables entre disciplines ont donné lieu à une terminologie abondante…La pluridisciplinarité peut être entendue comme une association de disciplines qui concourent à une réalisation commune, mais sans que chaque discipline ait à modifier sensiblement sa propre vision des choses et ses propres méthodes... L’interdisciplinarité, en revanche, poursuit des objectifs plus ambitieux. Son but est d’élaborer un formalisme suffisamment général et précis pour permettre d’exprimer dans ce langage unique les concepts, les préoccupations, les contributions d’un nombre plus ou moins grand de disciplines qui, autrement, restent cloisonnées dans leurs jargons respectifs...la compréhension réciproque qui en résultera est l’un des facteurs essentiels d’une meilleure intégration des savoirs. L’histoire des sciences est là pour nous rappeler que les échanges entre des domaines de connaissances éloignés, lorsqu’ils ont pu se produire, ont toujours été la source de progrès scientifiques ou techniques importants. Tout cela montre que l’enjeu des recherches interdisciplinaires est de la plus grande importance. Chaque discipline spécialisée constitue un domaine de connaissances relativement cohérent et coordonné mais, malheureusement aussi, assez fermé sur lui-même. Ce dernier aspect se manifeste à l’évidence dès que l’on cherche à établir des liens entre des disciplines différentes. Il est toujours très difficile de transcrire les connaissances d’une discipline, ou les questions qu’elle se pose, dans le cadre conceptuel et dans le formalisme d’une autre discipline. C’est là l’obstacle majeur que s’efforcent de franchir les recherches interdisciplinaires. »[18].


1.5. DIALECTIQUE

Cette notion se rapporte à la méthode d’analyse dialectique suggérée par Max Pagès, et que nous avons reprise pour étudier les concepts utilisés dans les différentes théories. Nous y reviendrons dans la deuxième partie.

D’après Etienne Balibar, le terme « dialectique » dérive du mot composé grec dialegein, qui indique dès le départ que son sens n’est pas simple. La signification la plus courante de ce terme, c’est « parler » et le préfixe "dia" indique l’idée d’un rapport ou d’un échange. La dialectique est donc, d’après l’étymologie, un échange de paroles ou de discours, c’est-à-dire une discussion ou un dialogue ;… elle est la technique du dialogue, ou l’art de la dispute, tel qu’il a été développé et fixé dans le cadre de la pratique politique propre à la cité grecque.…la dialectique met en jeu des intermédiaires (dia) ; elle a rapport au Logos, qui n’est pas seulement pour les Grecs le discours ou la raison, mais un principe essentiel de détermination du réel et de la pensée. Avec Platon, la philosophie se constitue en science à part entière. La philosophie, qui se confond avec la dialectique, représente le faîte et le couronnement de l’édifice du savoir, les autres sciences n’étant qu’une sorte de propédeutique à la philosophie…La méthode dialectique est la seule qui, rejetant successivement les hypothèses, s’élève jusqu’au principe même pour assurer ses conclusions…parce qu’elle atteint l’absolu ou l’an-hypothétique, c’est-à-dire le bien… la connaissance de l’être et de l’intelligible qu’on acquiert par la science de la dialectique, est plus claire que celle qu’on acquiert par ce qu’on appelle les sciences, lesquelles ont des hypothèses pour principes. Sans doute ceux qui étudient les objets des sciences… les examinent sans remonter au principe, mais en partant d’hypothèses, ils [n’ont] pas l’intelligence de ces objets. Platon établit une sorte de continuité entre le savoir scientifique et le savoir philosophique, qu’il situe à des niveaux différents : les « sciences » mettent sur la voie de la philosophie, la philosophie procure aux sciences un fondement ultime. L’idée de dialectique est liée à celle d’une progression : elle décrit un passage d’un terme (réel ou pensé) à un autre....elle se présente généralement, et superficiellement, comme un renversement du pour au contre. C’est le cas de la dialectique « réelle » de Platon, qui met en évidence, dans de tels renversements, des incompatibilités ; c’est aussi le cas de la dialectique « formelle » d’Aristote et des dialecticiens classiques, qui procède par objections, par questions et réponses : la dialectique kantienne se formule dans de telles antinomies ; c’est aussi le cas de la dialectique hégélienne, qui engendre, à partir de termes opposés, la résolution et le dépassement.

C’est dire que la dialectique se spécifie toujours dans un raisonnement articulé qui met en jeu des termes distincts : le procès qu’elle révèle ou qui l’engendre est nécessairement complexe. À cela revient finalement la métaphore primitive qui lie la dialectique au dialogue : la dialectique est un drame qui lie entre eux plusieurs personnages (concrets ou abstraits, réels ou imaginaires).Plus profondément, cette réciprocité, ce contraste, sont pensés dans les termes de la négation ou de la contradiction… La dialectique est un procès complexe parce qu’elle tient ensemble, d’un même mouvement, l’identité et l’altérité de ses éléments, le même et l’autre, et parce qu’elle les comprend l’un par l’autre. Ce conflit peut lui-même être présenté selon deux modes antagonistes : comme une contradiction, qui détermine l’autre sur le fond du même, à partir d’une unité essentielle déjà donnée ; ou comme une différence, qui reconnaît l’identité dans l’altérité elle-même, en faisant l’économie d’une hypothèse sur l’unité substantielle ou réflexive de l’être. On pourrait presque dire : dialectique de la contradiction, ou dialectique de l’être ; dialectique de la différence ou dialectique du non-être ; à ceci près que, malgré les apparences, l’une n’est pas le contraire, même direct, de l’autre… 

Kant a introduit, à l’état de thème philosophique explicite, le concept d’opposition polaire, de couples de contraires contrastés. Il propose de distinguer entre l’opposition logique (par la contradiction) et l’opposition réelle (sans contradiction). Tout terme pensable exige un terme opposé, ou seulement complémentaire, par rapport auquel il se différencie. Le couple est la « molécule initiale » de la pensée…L’idée d’une structuration binaire de la démarche de la pensée a été perçue dès les origines les plus reculées de la pensée (notamment chez les présocratiques) jusqu’aux grands systèmes de la philosophie classique (le dualisme cartésien).Le cerveau de l’homme fonctionne de manière à découper toutes les formes de l’expérience naturelle et sociale en segments discontinus associés par paires contrastées, par couples d’oppositions binaires [19].


Références bibliographiques :

[1] Pr W. Huber, Psychothérapies, Nathan U., 1993, p.10

[2] Les psychothérapies, inventaire critique, ESF, 1993, p. 9

[3] Rapport sur la santé dans le monde, OMS, 2001

[4] in M.Marie Cardine, O.Chambon et R.Meyer, Psychothérapies, l’Approche intégrative et éclectique,1994

[5] Pr T. Nathan , Les psychologues doivent se saisir du problème des psychothérapies, Psychologie Française, N°45-2, 2000, 99-101.

[6] Pr A. Blanchet, Président de la Société Française de Psychologie, in la lettre de la SFP, n°38

[7] Pr T. Nathan, ibid.

[8] Pr W. Huber, ibid.

[9] Zarka, in Ghiglione, 1999, p.55 ; Zylberstjejn, in A. Blanchet et al. 1985

[10] Rapport sur la santé dans le monde, OMS, 2001

[11] Pr W. Huber, Les Psychothérapies, 1993

[12] Pr T. Nathan, ibid.

[13] Simone Landry, Monologue éclectique, Le Mouton Noir, 2003

[14] Hélène David, in Lecomte et Castonguay, 1987

[15] R.M. Tremblay, L’Eclectisme

[16] Prs Norcross et Newman, in Psychothérapie Intégrative, 1998, p. 37

[17] Prs Lazarus, J Clin Psychol, 1990 May ; 46(3) ; 351-8

[18] Pierre Delattre, Chef du groupe de biologie théorique au Commissariat à l'énergie atomique, responsable de l' Ecole de biologie théorique du CNRS, in Recherches interdisciplinaires, Encyclopedia Universalis, 2003.

[19] Étienne BALIBAR, Professeur Emérite de Philosophie politique, Université Paris X-Nanterre, in La Dialectique, Encyclopedia Universalis, 2003
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