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Éclectisme et Intégration en Psychothérapie:
l'activité du psychologue clinicien

Par Françoise Zannier
Doctorante en psychologie clinique, Paris, France

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Éclectisme et Intégration en Psychothérapie: l'activité du psychologue clinicien

« L'être vivant perçoit ce qui le concerne et ce qu'il cherche, et la vision du monde qui l'entoure est à la fois partielle et partiale ». Daniel Lagache

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D’après le Dictionnaire Littré : « psychologue se dit de celui qui connaît intuitivement et empiriquement les sentiments d’autrui. Se dit plus spécialement du clinicien, du thérapeute spécialiste de la psychologie ».

Cette définition concentre l’ambiguïté des définitions qui sont données actuellement de la psychologie clinique, et de l’activité du psychologue clinicien, encore que la récente loi du 9 Août 2004 concernant l’usage du titre de psychothérapeute, soit venue mettre un début d’ordre dans les représentations parfois dévoyées de cette profession [1] .

Pour certains, en effet, le psychologue clinicien est un praticien qui étudie le fonctionnement psychique sain ou pathologique, pour en donner une définition en termes de capacités, de caractéristiques cognitives ou affectives, ou encore de diagnostic (dans ce dernier cas, il est assimilé à un psychopathologiste).
Pour d’autres, le psychologue clinicien exerce en plus des précédentes, ou exclusivement, des activités de conseil et de psychothérapie (de soutien ou spécifique).
En fait, ces définitions partielles ne font que refléter la diversité des fonctions exercées par ces psychologues, dont beaucoup sont spécialisés dans l’une ou l’autre d’entre elles.

Cependant, en pratique, nombreux sont ceux qui considèrent que les formations en psychothérapie se trouvent ailleurs ou au delà de la formation de base du psychologue clinicien (Licence + Maîtrise + DESS), ce qui paraît dans le même temps légitimer l’existence d’une profession de psychothérapeute indépendante de celle de psychologue.
Or, dans cette perspective, la psychologie clinique se trouve pour ainsi dire dépouillée de ce qui constitue une de ses parties essentielles depuis son origine, à savoir les méthodes de traitement des troubles [2] .
Alors que sont mises en place dans la plupart des cursus de DESS clinique, des Unités d’Etude (spécifiques ou comparatives) des différents courants de pensée et des méthodes psychothérapiques, ces unités d’études sont souvent considérées comme des enseignements de sensibilisation ne conférant aucune compétence sérieuse à exercer l’une ou l’autre des matières et des techniques enseignées. Or, autant ceci paraît justifié du point de vue d’une post-formation à une psychothérapie spécifique, autant cela semble paradoxal du point de vue d’un cursus dit de formation fondamentale et appliquée de haut niveau, préparant à la vie professionnelle.

Le paradoxe est renforcé par le fait qu’indépendamment des UE évoquées, de nombreux étudiants choisissent dès la maîtrise la(les) psychothérapie(s) comme sujet de recherche (cf stages + mémoires), et qu’il s’agit souvent de recherches-actions dans lesquels ils sont amenés à approfondir leurs connaissances théoriques et pratiques de différents types d’intervention psychothérapeutique.
Dans les faits, on aboutit ainsi à un autre paradoxe dans lequel des connaissances validées officiellement (au niveau des stages et des mémoires), ne sont pas toujours reconnues comme conférant une compétence.

Il n’est pas question ici de nier le fait que la formation de base des cliniciens n’est pas suffisante pour exercer une psychothérapie spécifique, ou que leur formation psychothérapeutique doit être améliorée. La question est de reconnaître qu’en l’état actuel des choses, les psychologues évoqués possèdent néanmoins les connaissances nécessaires pour pratiquer des activités de counselling ou de psychothérapie généraliste (à ne pas confondre avec la médecine généraliste… ) et que le reste est affaire de formation personnelle ou continue. 
Ceci est tout à fait autre chose que de leur dénier toute compétence à la psychothérapie, en particulier en jouant sur l’ambiguïté du mot (psychothérapie généraliste ou de soutien vs psychothérapie spécifique).

Parallèlement, se sont développées des formations universitaires (DU ou DESU) qui aboutissent à des diplômes locaux sans reconnaissance nationale et sans vocation diplômante jusqu’à ce jour, mais qui néanmoins dans le milieu universitaire (et privé associé), apportent une reconnaissance de qualification pour exercer la psychothérapie, prise au sens de psychothérapie spécifique.
Cependant là encore, alors que le Code de Déontologie des psychologues stipule que ces derniers ne doivent suivre que des formations continues qui leur sont réservées [3], ces formations sont ouvertes aussi bien à des professionnels du champ para-médical ou social, ou à des médecins généralistes, qui se trouvent ainsi « promus » au même niveau que les psychologues cliniciens, vis à vis de l’accès à cette qualification. 

En outre, il est à noter que ces formations (de niveau bac+3 ou 4) ne présentent souvent aucune commune mesure entre elles, le nombre d’heures d’enseignement variant du simple au double, voire plus. Par ailleurs, l’enseignement de psychopathologie y occupe souvent la plus grande partie du temps (80 à 90% des cours dans certains cas), c’est pourquoi ces formations ne sont pas particulièrement attractives pour les psychologues cliniciens longuement formés de ce point de vue, si ce n’est au titre de l’actualisation de leurs connaissances. 

Quoi qu’il en soit, enfin, le fait d’avoir à « se spécialiser » dans une seule des branches à propos desquelles ils ont reçu un enseignement généraliste, représente un rétrécissement de champ conceptuel et cette ultime spécialisation n’est pas conforme à l’Article 27 du Code de Déontologie des Psychologues : « L'enseignement présente les différents champs d'étude de la psychologie, ainsi que la pluralité des cadres théoriques, des méthodes et des pratiques, dans un souci de mise en perspective et de confrontation critique. Il bannit nécessairement l'endoctrinement et le sectarisme. »

Dans les faits, on a donc l’impression que la spécialisation évoquée est « récupérée » par les courants ou écoles spécifiques, qui éloignent les psychologues de leur vocation initiale au pluralisme conceptuel, encore que des formations intégratives se développent ici et là.
Pour les raisons qui précèdent nous pensons qu’une formation en psychothérapie, conforme à l’esprit et à la lettre de la psychologie clinique, devrait être une formation de type Doctorat (Bac +8), qui permettrait aux étudiants d’approfondir leurs connaissances de plusieurs cadres théoriques, ainsi que des méthodes et des pratiques associées. C’est pour cette cause entre autres choses que nous voulons plaider ici.

Précisons que ce projet paraît envisageable dans une perspective instrumentaliste, qui ne confond pas les théories avec le réel, pas plus qu’elle n’ambitionne de naturaliser le psychisme, comme ultime illusion d’atteindre la Vérité. Plus modestement, cette perspective vise à mettre les théories existantes au service de personnes réelles et concrètes, aux prises avec des situations toutes aussi réelles et concrètes. Un retour aux sources en quelque sorte ...

Autrement dit, il s’agit de faire retrouver aux théories la vocation première qu’elles ne devraient jamais cesser d’avoir : cette vocation est de servir l’homme et non de l’asservir pour asseoir des positions de pouvoir qui relèvent fréquemment d’intérêts personnels et groupaux éloignés de ceux de la science.
Cette démarche instrumentaliste bien qu’ essentiellement fondée sur un éclectisme technique, n’empêche pas qu’un éclectisme, voire une intégration conceptuelle peut être envisagée.

Car les visions du monde sur lesquelles les théories psychothérapeutiques s’appuient, qui sont invoquées pour alléguer leur incompatibilité, renvoient à des positions philosophiques susceptibles d’être mises en questions, pour autant que nous ne saurions détenir des réponses définitives sur elles. 
Sauf à prendre le risque de tomber dans le dogmatisme, nul n’est tenu en effet de s’en tenir à « une seule vision du monde », celle-ci n’étant au fond jamais qu’une hypothèse (ou un ensemble d’hypothèses) concernant celui-ci. Le propre des questions philosophiques est ainsi que ces questions peuvent recevoir plusieurs types de réponses, voire être indécidables, ceci selon les personnes, mais encore chez une même personne... 
C’est la raison pour laquelle elles font toujours débat et ne sauraient être tranchées. C’est aussi pourquoi ceux qui prétendent avoir trouvé des réponses définitives, ou font « comme si » les vérités dernières étaient accessibles, nous paraissent prisonniers de systèmes de pensée fermés et sans dialectique, toutes choses particulièrement dommageables dans notre domaine.

Par conséquent, nous croyons que seules les situations réelles et concrètes dans lesquelles sont actées les psychothérapies, sont pertinentes pour déterminer quel appareil conceptuel et quelles techniques peuvent être mises en œuvre [4], que ce soit de manière ponctuelle, ou alors plus continuelle.
Ainsi, ce sont les caractéristiques de ces situations, englobant aussi bien le cadre (institution, entreprise, cabinet,…), les acteurs (le patient et son contexte familial, conjugal,…), d’une part ; 
le thérapeute, sa théorie et ses techniques, d’autre part, qui sont les éléments décisifs dans ce sens.

Concrètement, l’important n’est donc pas tant par exemple, de savoir si l’homme est fondamentalement bon ou mauvais, ou bien s’il n’est capable que d’ambivalence… ce serait commettre l’erreur qui consiste à pécher par excès de certitude, or nous préférons de loin la culture du doute et l’ouverture aux différents possibles, qui nous paraissent plus proches d’une démarche scientifique authentique. L’important est d’utiliser les outils pertinents vis à vis d’une situation donnée, c’est à dire ceux qui sont aptes à conférer du sens à ses éléments importants, et à générer des implications susceptibles d’aboutir à des solutions adaptées. 

L’important est donc aussi avant tout le patient, le consultant aux prises avec son monde et son vécu en rapport avec ce monde. C’est à partir de ce vécu expérientiel et des questions ou des souffrances qui en émanent que le clinicien peut cadrer ces expériences à l’aide de son matériel conceptuel, et orienter le sujet vers les solutions correspondantes.
Dans ces conditions, on comprendra que selon les caractéristiques propres de la personne, la problématique soulevée et la manière dont elle est saisie subjectivement, un cadre théorique et technique précis, peut ponctuellement, ou alors plus continuellement, s’avérer pertinent pour permettre d’envisager ce qui se passe, du point de vue de ce cadre, en termes de dysfonctionnement(s), et par conséquent dans le même temps, ou subséquemment, quelles sont les solutions susceptibles d’apparaître.
La psychothérapie se présente ainsi comme une procédure de résolution de problèmes, une co-construction de solutions qui dépend autant de l’un que de l’autre (des uns que des autres) protagoniste(s) … 

Pour en revenir à la formation aux psychothérapies, il est à noter que dans le secteur privé, l’état des choses est beaucoup plus confus et foisonnant… Toutes sortes de formations allant de quelques jours à quelques semaines ou à plusieurs années sont proposées avec le même sérieux, pour devenir psychothérapeute. 
Par ailleurs, au motif du développement considérable de toutes formes de psychothérapies, considérées comme des disciplines, certains professionnels et enseignants se situant notamment parmi les tenants de la psychothérapie dite " relationnelle », revendiquent une formation spécialisée se déroulant hors du cadre des études universitaires, et vont jusqu’à prétendre qu’il n’existe pas de formation universitaire à la psychothérapie.
Pour ces personnes, la psychologie clinique se réduit à l’étude du psychisme et de ses dysfonctionnements et le rôle du psychologue clinicien, à celui d’un « psychotechnicien-orienteur ». Enfin, pour la plupart de ces écoles s’inspirant de la psychanalyse, une psychothérapie personnelle est considérée comme une condition sine qua non de cette formation.

Ce qui paraît choquant ici, c’est le fait que les psychothérapeutes évoqués considèrent comme allant de soi que les candidats se forment dans une seule école, c’est à dire dans un seul cadre théorique (encore que des écoles d’inspiration intégrative ont fait récemment leur apparition), et cela sans que des bases générales solides soient acquises.
C’est aussi que beaucoup des formations proposées, ne présentent pas les garanties minimales requises en psychopathologie, au point que les pouvoirs publics s’en inquiètent et légifèrent actuellement dans ce sens, 
C’est enfin que s’inspirant de la psychanalyse de manière « un peu rapide », l’exigence d’une « psychothérapie personnelle », ou de manière banalisée, de « travail sur soi », est posée sans tenir compte du fait que la psychanalyse dans son fondement, n’est en rien une psychothérapie… 
S’il fallait définir ce qu’est le travail psychanalytique d’un point de vue générique, c’est plutôt à un travail de connaissance approfondie, de découverte et de redécouverte de soi, rappelant l’epiméléia heautou (le souci de soi) qui est au fondement du gnôthi seauton (connais-toi toi-même) [5], en un mot à une herméneutique, qu’il convient de penser,

Cela étant, oublier ainsi que la psychanalyse n’est thérapeutique que par surcroît, et que le clivage normal/pathologique auquel sont réfèrées les psychothérapies en question, n’a pas le même sens, nous paraît peu respectueux de son essence, et réduit l’analogie évoquée à une peau de chagrin. 
Car en effet, la psychanalyse n'a pas pour objectif de ramener le sujet souffrant à un mode de fonctionnement « normal », « neutre » ou encore « pur », c’est à dire « débarrassé » de ce qui constitue sa problématique personnelle (ce qui supposerait entre autres choses de le débarrasser de son histoire, de ses censures et de ses instances psychiques, de son appareillage conceptuel et de ses croyances …). 

C’est pourquoi l’analogie en question qui tient lieu de justification, n’est que de surface, et n’est au fond qu’une falsification, cela d’autant plus que les positions de Freud sur ces questions étaient beaucoup plus complexes et nuancées, que ce n’est le cas ici [6].

Dans ces conditions, le travail sur soi en question, paraît s’apparenter plus sûrement à une stratégie d’affiliation visant à asseoir des positions de pouvoir sans grand rapport avec la science. Ce point de vue est renforcé par fait que ces psychothérapies réalisent un conditionnement dans un mode de pensée unique, et visent comme leurs conceptions le montrent, à l’application "orthopédique" des théories qu’elles mettent en oeuvre. 

La théorie et la pratique psychanalytiques visent au contraire à faire prendre au sujet la mesure de son désir et de ses manques, de son inconscient et du fait que le symptôme c’est lui-même (Lacan)… toutes choses qui sont l’exact inverse du mode de pensée « ego-psychologique » qui précède. C’est pourquoi ce dernier nous paraît fortement sujet à caution, et en tout cas peu susceptible de donner au psychothérapeute, le recul approprié par rapport à sa problématique, qui se trouve récupérée à des fins de prosélytisme institutionnel et personnel, via les tenants de ces écoles.

En tout état de cause, le problème en son fond n’est pas tant « d’en finir avec sa problématique », et d’atteindre une position soit disant « neutre » ou « épurée de tout risque de contamination personnelle », que de parvenir à discerner cette dimension, de manière la prendre en compte et ce qui permet d'être à la distance qui convient. 
Brièvement, cette prise de distance peut se concevoir comme une ouverture aux différents possibles, ce qui est tout à fait autre chose que de s’égarer dans l’illusion de « la pureté » ou de « l’objectivité », et de cautionner consciemment ou non, un système de « pensée unique », quel qu’il soit. 

Pour être plus précise, nous ne voulons pas dire que le travail sur les fragilités personnelles du thérapeute, qui peuvent introduire une distorsion dans son approche et dans sa compréhension de la problématique du patient [7], est inutile. Ce que nous voulons souligner , c’est que ce travail peut prendre des formes différentes de celles qui sont exigées ici. C’est pourquoi cette omission, qui est à la fois un déni et une occultation pose un réel problème.
Formulée différemment, la question est de savoir si le thérapeute tire sa compétence de ce qu’il est, ce qu’affirment les écoles auxquelles nous nous référons ici, ou bien de ce qu’il sait, de ce qu'il sait faire, et de ce qu’il sait faire faire à ses patients [8]. 
Car, il y a dans ce postulat du travail sur soi, l’idée que le candidat thérapeute doit changer lui-même dans son être, et que ce changement passe obligatoirement par un travail thérapeutique personnel. Cette position qui différencie radicalement travail thérapeutique personnel et formation théorique et pratique, c’est à dire connaissance (du sujet, de soi,,... [9] ), au point d’en faire deux domaines de nature et de visée radicalement différentes est pour nous tout à fait douteuse. 

Nous ne nous étendrons pas ici sur la prétendue résistance invoquée par certains, de la part de ceux qui refusent "obstinément" de se soumettre aux effets d’une psychanalyse ou d’une psychothérapie personnelle, car cet argument tautologique ne sort pas des systèmes de pensée mis en œuvre.
Nous ne nous étendrons pas plus sur les analogies qui sont évoquées par beaucoup d’auteurs entre psychothérapie et pédagogie, ou entre psychothérapie et éducation. Toutes les psychothérapies centrées sur la recherche de solutions, utilisant les techniques de résolution de problèmes, ou encore les théories de l’apprentissage, sont là pour en témoigner. Par ailleurs, le fait que la théorie du thérapeute est un élément essentiel du processus, voire le plus important, ne saurait faire de doute. 
En tout état de cause, c’est encore une question philosophique que de savoir si ce qu’un sujet est, est fondamentalement différent de ce qu’il sait... seule une position dogmatique peut répondre de manière tranchée à cette question…

Quoi qu’il en soit, poser qu’un psychothérapeute doit dans tous les cas s’être soumis à une psychothérapie personnelle, pour éviter de projeter sur le patient des éléments de sa problématique personnelle, c’est affirmer qu’aucun professionnel ne peut s’avérer suffisamment savant et mature, pour pouvoir éviter de le faire sans ce travail préalable. 
Pour nous, cette affirmation appelle deux objections. La première est que la question sous-jacente est mal posée, car dans tous les cas, le thérapeute projette d’une manière ou d’une autre ses croyances, ses valeurs, sa « vision du monde »… comme nous l’avons évoqué..
La seconde objection, plus cruciale, c’est que cette affirmation dépasse ce qu’il est scientifiquement possible d’affirmer, comme c’est le cas de toutes les conceptions qui prétendent atteindre la Vérité, c’est à dire proposer plus qu’un modèle (D. Anzieu) … 

Affirmer qu’une attitude « neutre » ou encore « objective » est possible, c’est ignorer l’évidence que l’objectivité n’existe pas dans les sciences humaines, a fortiori en ce qui concerne la subjectivité, c'est à dire ici le fonctionnement psychique (sauf sous la forme de consensus existants à l’intérieur des groupes professionnels concernés), ceci notamment pour des raisons de postulats philosophiques sous-jacents aux théories, comme on l’a vu. En d’autres termes, c’est oublier que l’observateur et l’observé font partie tous les deux de la situation que le premier tente de décrire… or ce décentrement qui renvoie à la seule forme d'objectivité possible, fait grandement défaut chez certains auteurs, qui présentent comme des évidences allant de soi, des options et des choix qui leur sont personnels. 
Quoi qu’il en soit, en outre, aucune étude sérieuse n’a jamais corroboré le postulat en question, et à défaut de ce travail irréalisable parce que portant sur un dogme, le dogme en question ne saurait que perdurer ou, ce qui est beaucoup moins probable, disparaître…
C’est enfin faire injure à tous les thérapeutes, systémiciens et cognitivistes notamment, pour qui ce que le thérapeute sait, sait faire et sait faire faire à ses patients, est la matière même de sa compétence.
Par conséquent, que les détracteurs de cette position se donnent pour objectif la mission hautement éthique de définir les règles de toute une profession, en y incluant le dogme en question, nous paraît tout aussi outrancier que leurs affirmations.

Un seul point indiscutable paraît cependant se situer au niveau du vécu, de l’expérience concrète de la psychothérapie du point de vue du patient. Mais que devient l’apport en substance de ce vécu, s’il n’est initié que pour satisfaire à une condition imposée de l’extérieur, à des candidats thérapeutes qui n’en ressentent pas en eux-mêmes la nécessité, et encore une fois, est-il nécessaire et juste d’imposer cette exigence ? Pour nous rien n’est moins sûr, sauf à prendre le risque de tomber dans un dogmatisme qui est le ferment de tous les obscurantismes et de tous les sectarismes.
Nous n’approfondirons pas plus ces questions pour le moment…soulignant que pour nous, la volonté du sujet (candidat thérapeute ou patient) doit être respectée, et que cette démarche de psychothérapie personnelle, comme toute autre psychothérapie sans vocation didactique, ne peut se faire valablement que si elle procède de son initiative.

Quoi qu’il en soit, dans le contexte évoqué, le psychologue clinicien se voit souvent ramené au rang de simple technicien, voire d’agent d’orientation vers d’autres spécialistes : psychiatre, psychothérapeute,… ce qui constitue une attaque dégradante de la profession, et renvoie à l’évacuation pure et simple d’une partie essentielle de sa substance.

Par ailleurs enfin, d’autres partenaires importants du débat, telle la Faculté de Médecine, estiment que les psychologues cliniciens sont habilités à effectuer des psychothérapies, sous prescription toutefois d’un psychiatre, ceci alors que le Code de la Santé Publique stipule que Le psychologue ne fait pas partie des professionnels de santé et qu’ il n’est pas un auxiliaire médical. 
Elle réédite en cela, une opposition tenace à l’autonomie des psychologues apparue dès 1951, à l’époque de la création du statut des premiers assistants en psychologie, dont faisaient partie les rééducateurs des troubles du comportement (à l'aide de la psychothérapie) [10].

« Dans un certain nombre de troubles psychologiques, un traitement psychothérapique peut être institué. Cette psychothérapie est différente de la psychanalyse, il s’agit en fait d’entretiens en face à face. Les psychologues cliniciens possédant une formation reconnue en 
psychopathologie sont habilités à conduire une psychothérapie, mais celle-ci sera prescrite par un médecin psychiatre » [11]. 

Pour la prestigieuse Académie de Médecine, un psychologue clinicien est donc un thérapeute par sa formation, ce qui veut dire que l’étude du psychisme dont il vient d’être question n’est qu’une étape ou un aspect de son travail qui consiste, rappelons-le, à promouvoir la santé psychique et l’autonomie de la personne.
Cette dernière conception est ainsi beaucoup plus proche de l’esprit et de la lettre, mais aussi du code de déontologie de la profession, qui définit les missions du psychologue, missions difficilement concevables sans l’apport des techniques psychothérapeutiques qui forment la trame des entretiens cliniques.
Chapitre 1 : Le titre de psychologue et la définition de la profession - Article 4 - Le psychologue peut exercer différentes fonctions à titre libéral, salarié ou d'agent public. Il peut remplir différentes missions, qu'il distingue et fait distinguer, comme le conseil, l'enseignement de la 
psychologie, l'évaluation, l'expertise, la formation, la psychothérapie, la recherche, etc. Ces missions peuvent s'exercer dans divers secteurs professionnels.

De ce qui précède, on retiendra principalement que le champ de la psychologie clinique et des psychothérapies est un champ très politisé, dans lequel les enjeux scientifiques s’éclipsent souvent au profit des enjeux de pouvoir, de place sociale et de domination.
Aussi, les définitions des fonctions et des rôles de chacun varient largement selon la place qu’occupent les intervenants dans le procès de la culture de masse concernant les produits de la psychologie.
Au delà de ces faits, il nous reste heureusement des textes importants comme autant de jalons historiques et déontologiques pour nous rappeler d’où vient et où va la psychologie clinique, indépendamment de ce que certains en pensent ou s’autorisent à en dire.


Notes :

Notes :

[1] Selon cette loi, les psychiatres et les psychologues sont psychothérapeutes de droit. Même si le décret d’application non encore publié, prévoit des conditions précises de formation en psychopathologie, il y a lieu de penser que cela ne changera rien pour les psychologues cliniciens et pour les psychiatres.

[2] Voir D. Lagache L’Unité de la psychologie , Quadrige Grands Textes, PUF, 7e édition, juin 2004, p32. Celui qui est considéré comme le fondateur de la Psychologie Clinique en France, définit le programme de celle-ci : « l'humanité de l'objet la spécifie moins que l'attitude méthodologique : envisager la conduite dans sa perspective propre, relever aussi fidèlement que possible les manières d'être et de réagir d'un être humain concret, complet aux prises avec une situation, chercher à en établir le sens, la structure et la genèse, déceler les conflits qui la motivent et les démarches qui tendent à résoudre ces conflits, tel est en résumé le programme de la psychologie clinique.

[3] Chapitre 2 du Code de Déontologie, Article 30 :...Les enseignements de psychologie destinés à la formation continue des psychologues ne peuvent concerner que des personnes ayant le titre de psychologue…. 

[4] Précisons ici au passage que nul n’a le monopole des concepts appartenant aux différentes disciplines, contrairement à ce que certains locuteurs laissent parfois entendre. 

[5] L’herméneutique du sujet, cours au Collège de France, 1981-1982, Michel Foucault, Seuil, fév. 2001, p.10 

[6] « il est incontestable que les analystes n’ont pas complètement atteint, dans leur propre personnalité, le degré de normalité psychique auquel ils veulent faire accéder leurs patients » (p.263)…« Nombre d’analystes apprennent à utiliser des mécanismes de défense qui leur permettent de détourner de leur propre personne des conséquences et exigences de l’analyse » (p.264)… « chaque analyste devrait périodiquement se constituer en objet d’analyse » (p.265), in Analyse avec fin et analyse sans fin, Résultats, idées, problèmes, II, 1921-1938, Freud, PUF, 6e éd., 2002. 

[7] « il est décisif que l’analyste ait suffisamment appris de ses propres errements et erreurs, et qu’il ait soumis à son pouvoir « les points faibles de sa personnalité » in Analyse avec fin et analyse sans fin, Résultats, idées, problèmes, II, 1921-1938, Freud, PUF, 6e éd., 2002., p.262.

[8] JM Petot, la formation des psychothérapeutes comportementalistes et cognitivistes, http://www.psychologues.org/modules/news/print.php?storyid=86Pr W. Huber, ibid.

[9] L’histoire de la vérité est entrée dans l’âge moderne, le jour où on a admis que ce qui donne accès à la vérité, c’est la connaissance et la connaissance seulement … Michel Foucault, ibid. p. 19

[10] 1951-1971, vingt ans d’enjeux à propos du statut professionnel des psychologues - Actes des journées d’études du groupe d’études pluridisciplinaires d’histoire de la psychologie, juin 1993, p.299-316 , R. Samacher

[11] Rapport adopté à la session du Conseil national de l’Ordre des médecins le 2 juillet 2004, Dr Piernick Cressard - LA REGLEMENTATION DU TITRE DE PSYCHOLOGUE

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