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Faire la paix
avec soi-même

(présentation de livre)
Par Saverio Tomasella, Psychanalyste
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Éditions EYROLLES
Avril 2004

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Présentation de l'auteur

Saverio Tomasella, psychanalyste et animateur de groupes,
notamment de théâtre, est membre de la Fédération des ateliers
de psychanalyse et de l’association européenne
Nicolas Abraham et Maria Torok.

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Présentation de l'ouvrage

Ce guide montre comment retrouver l’estime et la confiance en soi en s’appuyant sur les concepts clés de la psychanalyse : stade du miroir, défenses, projection, situations paradoxales…

À travers ces notions, l’auteur analyse les sentiments de honte, de culpabilité, d’insatisfaction ou encore de stress qui nous animent au quotidien. Il explique également leurs implications dans notre vie de tous les jours. Il nous propose ensuite des pistes pour vivre en accord avec nous-même et avec les autres : méthode Alexander, massage énergétique, méditation, etc. Il s’appuie sur de nombreux exemples issus de ses séances de consultation.

Extrait

La vie compliquée par les mythes :
chacun a sa théorie du bonheur

Le rêve est un reflet de la vie intérieure: il exprime les attentes de l’individu, ses souhaits, ses vœux. À ce titre, il est nécessaire à son équilibre, même quand le dormeur n’en garde aucun souvenir au réveil. Le rêve favorise le sommeil autant que le sommeil le rend possible (1) : le somme crée un état du corps et une disponibilité interne grâce auxquels le songe peut naître, prendre forme et se dérouler. Il en est également ainsi dans la dimension sociale. Lorsque la rencontre fantasmatique est possible, le mythe se déploie : il fonde et organise la relation à l’autre et à l’environnement (4).

La pratique de la psychanalyse a mis en évidence l’efficacité du mythe sur l’individu, ou le groupe, qui le crée. Pour Sigmund Freud, le mythe individuel est l’expression d’une vérité du sujet, que celui-ci ne peut dire autrement. Cette « vérité » prend la forme d’une fiction, d’un tissage d’inventions. Grâce à la fantaisie, le sujet élabore ce qui fait difficulté dans son histoire. Ainsi, Freud (1909) parle de « roman familial » en désignant ce que l’enfant imagine de ses origines pour leur donner un sens ou pour apporter une compensation fictive aux manques dont il souffre (1).
L’écoute de personnes très différentes permet de constater l’existence de ce que l’on pourrait appeler une « théorie du bonheur ». On peut entendre le mot « théorie » au sens d’une fiction en laquelle croit son inventeur (2) . Cette théorie du bonheur est une façon particulière de voir la vie. Elle correspond au rêve d’une vie heureuse.

  • Elle contient, comme toute mythologie, une explication secrète des origines – ce que Freud a nommé « théorie sexuelle infantile (3) ».

  • Elle s’appuie sur des croyances relatives au but et à la valeur d’une destinée humaine.

  • Elle propose des moyens imaginaires, parfois « magiques », d’être heureux et de réussir sa vie.

  • Elle présente une tentative de sens donné à l’existence et à la mort.

En bref, chacun s’invente et se construit une théorie du bonheur, pour vivre et orienter sa vie, quand ce n’est pas pour trouver un soutien et continuer à croire en la vie.
Dans de nombreux cas, l’enfant ou l’adolescent malmené par des événements douloureux perd confiance en ses capacités, parfois même en la vie. Pourtant, il ne peut renoncer au bonheur sous peine de s’effondrer. Sa « théorie du bonheur » n’en est alors que plus active. Il cherche à se persuader qu’en d’autres lieux et d’autres temps, il pourra vivre heureux. Si l’être humain renonce à la joie et à l’espérance de goûter un jour à la plénitude, alors il ne lui reste qu’à se laisser mourir. L’horreur de l’expérience des camps de concentration et de toutes les formes de torture, qui déshumanisent à l’extrême, confirme cette réalité (4).

Antoine a 26 ans. Il est marin. Son père aimait faire de la voile. Il est mort d’un accident en mer lors d’une tempête. Antoine allait avoir 4 ans. Depuis cette tragédie, Antoine n’a cessé de rêver de devenir marin. Il a retrouvé des souvenirs de son père : des sensations de chaleur, des images de tendresse, l’éclat d’une voix enjouée. Antoine a découvert qu’il ne va pas simplement chercher son père sur l’océan, qu’il ne souhaite pas seulement déjouer le sort et braver les flots. Après la disparition de son père, Antoine a construit dans ses rêveries une vie heureuse où son père aurait sa part. Il imaginait son papa lui racontant ses sorties en bateau, lui apprenant à naviguer, le félicitant de ses progrès, l’encourageant dans son projet. C’est cette fiction, à défaut d’autres soutiens familiaux, qui a rendu possible la réalisation de sa « vocation ». Des émotions très fortes sont remontées à la surface lors de ces prises de conscience. Antoine en a été « très secoué ». Il a pu dire que cette « fantaisie » l’a « protégé du désespoir » et a « maintenu intacte la flamme dans son cœur ».

Il est difficile, encore aujourd’hui, de parler de la souffrance des petits enfants. En effet, quand on tente de l’évoquer, de nombreux adultes commencent immédiatement à affirmer que l’enfant n’éprouve rien, ne comprend rien. La sensibilité du tout-petit est au contraire très vive, elle est intacte : il peut vivre des détresses sans fin et survivre à d’immenses douleurs (5) . Le psychanalyste qui écoute sans préjugé théorique et se laisse entraîner au fond des gouffres de l’extrême solitude, pour aider ses patients à en revenir, est le témoin des plus grandes misères humaines.

Dans certains cas, le recours à la « théorie du bonheur » ne suffit pas, et la mythologie personnelle s’oriente différemment pour tenter de donner un sens à l’absurdité de l’existence. Cela peut se passer après une mort inexpliquée, un viol, un accident grave, des humiliations répétées ou encore une très forte déception. Le mythe vient alors justifier le malheur, l’ordre pernicieux du monde, la décadence de la civilisation, la corruption des sociétés, et essayer de colmater, tant bien que mal, les brèches qui ouvriraient sur une douleur personnelle trop forte pour être supportée. Il peut toutefois arriver que la solitude et la misère intérieures deviennent un moteur à la création artistique – que l’on songe à Baudelaire, Kafka, Beckett, Yourcenar, Duras ou Céline.

Enfin, après un grand chagrin d’amour – surtout le premier amour –, pour avoir été niée par la réalité, la mythologie personnelle peut s’effacer et tomber dans l’oubli. Elle est alors remplacée par une théorie familiale du bonheur. Le discours des parents, ou plus particulièrement le modèle plus assuré de l’un d’entre eux, ou même les conventions du milieu social vont prendre le dessus. L’amour n’existe plus, la personne ne veut plus s’y risquer. Une union de circonstance ou un mariage de raison viennent combler la faille d’une espérance trompée… Et plus tard, on évitera soigneusement de parler aux enfants de l’amour sincère, pour se cantonner à des réalités plus consensuelles et plus superficielles, moins dangereuses pour l’équilibre affectif de l’adulte déçu.

NOTES:

1. Cf. S. Freud, L’Interprétation du rêve (1900), Paris, PUF, 2002.
2. Cf. Maud Mannoni, La Théorie comme fiction, Paris, Le Seuil, 1979.
3. Cf. S. Freud, « Les théories sexuelles infantiles » (1908), dans La Vie sexuelle, Paris, PUF, 1985.
4. Cf. Primo Levi, Les Naufragés et les Rescapés, Paris, Gallimard, 1989.
5. Cf., par exemple, D. Winnicott, Le Bébé et sa mère, Paris, Payot, 1992.


© Eyrolles, 2004.

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Presse

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