Interview
Le nouveau livre de Patrick Estrade est sort en librairie en mai dernier Son titre : « Comment je me suis débarrassé de moi-même : les sept portes du changement »
(Ed. Robert Laffont, coll. Réponses). Patrick Estrade s’est prêté au jeu des questions réponses. On ne va pas lui en faire reproche.
Féminin Psycho :
Votre livre s’intitule : Comment je me suis débarrassé de moi-même. C’est pour le moins paradoxal ?
Patrick Estrade : Quand je dis que je me suis débarrassé de moi-même, je veux dire que je me suis débarrassé de ce mauvais alter ego qui, si souvent, nous accompagne au cours de notre vie, au point de parfois vouloir prendre toute la place, et qui nous pousse à agir contre nous-mêmes, contre nos intérêts, contre nos sentiments, contre notre nature profonde.
Personnellement, je ne suis pas devenu un autre au sens propre du terme ; je ne pense pas qu’on puisse changer à ce point-là et ce ne serait de toute manière pas souhaitable. Tout n’est pas bon à jeter. Celui dont je me suis débarrassé était sans dout un homme aimable et respectable dans le fond, un homme avec des qualités, intelligent, sensible aussi. Mais certaines choses de la vie m’étaient restées incompréhensibles ou inaccessibles, soit qu’on m’ait mal renseigné, soit que je n’en ai pas saisi les leçons. Les deux, probablement…
Comment peut-on en arriver à vouloir se débarrasser de soi-même ?
Si la vie est belle, il faut en profiter. Mais si elle ne l’est pas, alors, il faut oser regarder les choses en face, oser admettre que ce ne sont pas tant les contingences extérieures qui la rendent difficile, mais les résistances absurdes et démesurées que nous lui opposons, oser admettre que c’est nous qui mithridatisons notre quotidien et nous-même en avalant en doses régulières ces poisons reconnus pourtant dangereux par tous : insatisfactions, attentisme, dépendances, errements, trahisons de soi. Nos peurs de vivre, nos angoisses, nos blocages, nos déprimes en sont le témoignage le plus direct.
Contrairement à ce que nous pourrions penser, nous tendons à privilégier les autres au détriment de nous-mêmes, quitte à commettre à notre endroit les plus vives injustices. En psychologie, on appelle cela l’oblativité. Dans mon livre, je cite l’exemple de Carin une jolie femme de cinquante printemps. Son éducation l’avait rendue complètement oblative et donc très dépendante affectivement des autres. Tout chez elle passait par
l’auto-sacrifice. Dès qu’elle ne se conformait pas à ce que les autres attendaient d’elle, sa voix intérieure lui sussurait qu’elle était une mauvaise fille. En même temps, changer lui faisait peur car elle craignait de ne plus être aimée. Ce genre de peur est très fréquent. Par peur de ne plus être aimé, nous en venons à accepter l’inacceptable, et faisons de notre vie un véritable enfer. Comprendre, comme Carin l’a fait, que nous ne sommes pas étrangers à cette situation est dur, car pour terrible qu’elle soit, elle comporte des bénéfices secondaires évidents, dont le principal est que nous pouvons nous défosser de notre responsabilité vis-à-vis de notre propre vie. C’est de cet alter ego injuste et douloureux dont il s’agit de se débarrasser.
Comment voyez-vous ce changement ?
J’ai souvent comparé le travail sur soi à une seconde maison qu’on déciderait de construire à côté de la première. Une maison qui ne serait pas construite à la va-vite, mais, tranquillement, selon son propre rythme.
Au fur et à mesure que cette maison s’édifie et s’installe, vous décidez de transférer certaines choses de l’ancienne vers la nouvelle. Les choses qui vous paraissent importantes ou que vous aimez bien. Ce sont les attitudes, les comportements, les façons d’être dans lesquelles vous vous reconnaissez vraiment, dans lesquels vous vous sentez être authentiquement vous-même.
Et puis, il y en a d’autres que vous trouviez importantes à une époque, par exemple faire des scènes de jalousie pour un rien, ou vouloir avoir raison à tout prix) et que vous n’aimez plus trop maintenant. Alors, vous décidez de les laisser dans l’ancienne maison, ou vous n’en emportez qu’un petit spécimen, car vous n’êtes pas encore trop sûr de n’en avoir plus besoin.
Et puis enfin, il y en a d’autres – mais pas tant que vous croyez, en vérité – que vous avez toujours trouvées détestables, macabres, sales ou carrément sordides, des dégueulasseries de premier ordre que vous avez toujours détestées mais que vous gardiez par inconscience, par faiblesse ou par fidélité à un passé scabreux, ou encore par superstition. Et alors celles-là, vous les laissez dans la première maison ; vous n’y touchez pas. Et plus le temps passe, plus vous allez consacrer du temps à la nouvelle maison et plus vous vous investissez pour la rendre belle, attrayante, confortable, conviviale, chaleureuse. Et puis un jour, sans l’avoir vraiment décidé, vous vous apercevez que cela fait un bon bout de temps que vous n’êtes plus retourné dans l’ancienne maison et vous réalisez avec stupeur qu’elle ne vous manque même pas. Alors, comme vous ne voulez plus vous faire violence, vous décidez de rester là où vous vous sentez bien. Là où vous vous sentez libre. Libre d’être celui ou celle que vous êtes vraiment, mais aussi et surtout, libre de le ressentir, de le vivre et d’y goûter pleinement.
C’est cela que j’appelle : se débarrasser de soi-même. Trouver les points de repère qui feront que vous vous sentirez vraiment chez vous dans cette nouvelle perception de vous-même. Alors, ce sera comme si vous inauguriez un autre temps et un autre lieu.
Le changement, c’est comme un voyage ; un voyage vers un plan supérieur de la connaissance de soi?
Pas seulement. Connaissance de soi bien sûr, dans le sens d’un « souci de soi », c’est-à-dire d’un soin apporté à soi, d’une estime de soi convergeant vers l’intime de soi, mais aussi, connaissance d’autrui et du monde.
Vous invitez le lecteur à retrouver une certaine sagesse de vie
Oui, mais comprenons-nous bien. Pour moi, la sagesse n'a rien d'une donnée contemplative qui serait réservée à quelques être d'exception, véritables miraculés, élite du sens caché de la vie. Bien au contraire. Je vois dans la sagesse une donnée dynamique et active dans laquelle se rencontrent en une dialectique réciproque réflexion sur la vie, raisonnement de la vie, action de la vie, aspiration vers une forme supérieure de la vie. Le sage n'est pas celui qui, exilé des turpitudes de l'existence, a choisi de se retirer en renonçant à tout, mais celui qui, vivant au
c?ur de la cité, laisse et fait agir beaucoup des facultés humaines qui se trouvent en sa possession et qui se retrouvent en chacun de nous. A ce titre, chacun d'entre nous, quel qu'il soit, peut devenir un "sage". La sagesse est donc une énergie dynamique, une force tranquille, un dosage visant à l'équilibre des domaines de réalisation que sont la vie personnelle, la vie professionnelle, la vie sentimentale et la vie de l'esprit auxquels on aura pris soin de retrancher quelques domaines d'illusion et ajouté quelques grains de bonté et de bienveillance.
La sagesse n'est pas une idée,
ou une philosophie, c'est un terrain, dites-vous?
Je repère en effet au sujet de la sagesse une méprise que je voudrais lever, qui traîne avec elle des conséquences sur notre vie et sur notre santé. Nombre d'entre nous voient dans la sagesse une idée un concept peu moralisant, une inspiration, voire une grâce. Bien sûr elle peut être vue ainsi, mais il me semble qu'avant tout, la sagesse est un terrain.
C'est le terrain où se distingue le sens et le non-sens
Dans notre société actuelle, nous ne savons plus prendre le temps de faire des choses très simples : regarder ses enfants, se remémorer des bons moments passés, rire, percevoir au quotidien les petits signes que la vie nous fait ou les cadeaux qu'elle nous offre. Quand je regarde autour de moi, j'ai le sentiment de ne voir que tension, énervement, stress, agressivité, violence, arbitraire, rejet, quand ce n'est pas tout simplement indifférence ou mépris. Nous ne savons plus vers où nous tourner pour régler l'infinité des problèmes qui se posent à nous par manque de recul, par manque de discernement. Par manque de générosité aussi. Nous mélangeons tout, nous méprisons l'important, nous surestimons le futile, nous faisons n'importe quoi avec notre vie, avec notre corps, avec nos enfants, avec les gens que nous aimons. Nous vivons dans une tension permanente qui engendre de grandes fatigues aussi bien physiques que psychologiques. Il n’est pas étonnant que la dépression ait pris tant d’ampleur dans notre société. N’oubliez pas que nous sommes l’un des premiers pays consommateurs d’antidépresseurs.
Un tel style de vie, si généralisé dans nos sociétés, conduit comme on s'en doute à bien des déséquilibres et à bien des maux et à bien des traumatismes, qu'ils soient d'ordre psychique, d'ordre émotionnel ou d'ordre physique. On retrouvera ici, bien évidemment toute la panoplie des affections psychologiques névrotiques et des troubles psychosomatiques que je me garderai de vous énumérer ici, puisque vous les connaissez aussi bien que moi.
Donc, le sens en tant que vecteur de santé ?
Il y a peu de choses que je sais, mais il en est une dont je suis sûr :si le non-sens et le pseudo-sens rendent malade, le sens, lui, ne rend jamais malade. Il est au contraire un véhicule de santé. Comprenons-nous bien, je ne suis pas en train de dire que la sagesse pourrait à elle toute seule remplacer toutes les doctrines médicales, religieuses, philosophiques et psychologiques, je ne dis pas non plus que la sagesse constituerait un écran miraculeux pouvant nous préserver de toutes les maladies, je dis qu'elle apporte une contribution préventive précieuse à notre santé et que nos turpitudes du corps seraient sans doute moindre si nous décidions d'instaurer plus de sens, plus de soin et plus de sagesse de vie dans notre existence quotidienne.
Le titre : « Comment je me suis débarrassé de moi-même » est tout de même
paradoxal…
Je vous parlais à l’instant du franchissement. Du franchissement naît l’affranchissement. Se débarrasser de soi-même, c’est précisément s’affranchir de tout ce que nous ne sommes pas, de tout ce que la société, l’éducation, la religion, la morale ont fait de nous, mais qui n’est pas nous. Nous avons tous une relecture à faire de notre vie.
Changer signifie pour moi : naître à soi-même. Pour naître à soi-même, il faut franchir, franchir les obstacles au perfectionnement, à la réalisation de soi. Le franchissement, c’est ce qui rend franc, c’est-à-dire ce qui rend libre. Or, malgré toutes les libertés dont nous jouissons, nous ne sommes toujours pas libres, quelque chose nous retient.
Parce que pour pouvoir naître à soi-même, il faut d’abord commencer par se débarrasser de cet autre soi qui nous encombre. Cet autre soi fait de tous les scories, de toutes les influences néfastes, de toutes les projections plus ou moins fantasmée, plus ou moins violentes, plus ou moins destructrice du Moi que la société, nos systèmes d’éducation et nos parents ont véhiculé sur nous.
Le bonheur est à ce prix ?
Accéder à ce qui nous correspond vraiment, renouer avec l’intime de soi, ce rivage inconnu à partir duquel nous pourrons mieux accueillir l’autre, y contribue certainement.
Patrick
Estrade, Psychologue, Psychothérapeute, Nice, France.
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