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Les abus sexuels: "Nous sommes tous concernés." 
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Jacques et Claire Poujol, Conseillers Conjugaux et Familiaux
(Extrait du livre de Jacques et Claire Poujol :  « Manuel de relation d’aide : l’accompagnement spirituel et psychologique», Empreinte Temps Présent, 1998.)
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Que vous le sachiez ou non, quelqu'un de votre entourage a un jour été victime d'abus sexuel. Et si vous êtes psy, vous vous apercevrez rapidement que les difficultés d'un certain nombre de personnes trouvent là leur origine. Pour ces hommes et ces femmes meurtris, il y aura toujours un « avant »et un « après » l'abus.

Notre société préfère souvent méconnaître ce problème, en atténuer la gravité, voire le nier totalement. Ou alors, plein de bonne volonté mais aussi d'incompétence, on propose aux victimes des « solutions» qui ne font qu'aggraver le traumatisme subi.

Nous répondons dans cet article à quelques questions : Qu'entend-on par abus sexuel ? Pourquoi la victime a-t-elle tant de mal à parler de ce qu'elle a subi ? Quels dégâts l'abus sexuel provoque-t-il ? Comment aider la victime à s'en sortir ? Qui sont les abuseurs ?
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PREMIÈRE PARTIE

 

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DEUXIÈME PARTIE

  • LES DÉGATS PRODUITS PAR L'ABUS SEXUEL 

  • AIDER LA VICTIME A REVIVRE

  • LE DÉVOILEMENT DES ABUSEURS

  • BIBLIOGRAPHIE  

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QU'ENTEND-ON PAR ABUS SEXUEL ? | HAUT |

1. Une contrainte ou un contact

Un abus sexuel est toute contrainte (verbale, visuelle ou psychologique) ou tout contact physique, par lesquels une personne se sert d'un enfant, d'un adolescent ou d'un adulte, en vue d'une stimulation sexuelle, la sienne ou celle d'une tierce personne.

Un contact physique est, certes, plus grave qu'une contrainte verbale. Mais il faut savoir que tout abus constitue une violation du caractère sacré et de l'intégrité de la personne humaine et provoque toujours un traumatisme. 

* La contrainte verbale désigne : une sollicitation sexuelle directe ; l'usage de termes sexuels ; la séduction subtile ; l'insinuation. Tout cela vis-à-vis d'une personne qui ne désire pas les entendre.

* La contrainte visuelle concerne : l'emploi de matériel pornographique ; le regard insistant sur certaines parties du corps ; le fait de se dévêtir, de se montrer nu, ou de pratiquer l'acte sexuel à la vue de quelqu'un. Ici encore, sans que la personne le désire.

* La contrainte psychologique désigne : la violation de la frontière entre le relationnel et le sexuel (un intérêt excessif pour la sexualité de son enfant) ou entre le physique et le sexuel (des lavements répétés ; un intérêt trop marqué pour le développement physique d'un adolescent).

* Le contact physique peut être : assez grave (baiser, attouchement du corps à travers les vêtements, que ce soit par la force ou non, avec ou sans pression psychologique ou affective), grave (attouchement ou pénétration manuels ; simulation de rapports sexuels, contact génital, tout cela avec ou sans violence physique), ou très grave (viol génital, anal ou oral, obtenu de quelque manière que ce soit, par la force ou non).

2. La stratégie de l'abuseur

Un abus n'est pas le fait du hasard de la part de celui qui le commet. Étant un pervers, celui-ci prémédite et organise la relation en attendant le moment où ses fantasmes vicieux lui paraîtront réalisables. La victime ignore bien entendu tout cela.

La stratégie perverse comporte en général quatre étapes : 

a. Le développement de l'intimité et du caractère confidentiel, privilégié, de la relation

Cette phase, plus ou moins longue (de quelques heures à quelques années), vise à mettre en confiance la future victime qui ne se doute de rien. 

b. Une interaction verbale ou un contact physique apparemment "convenable » pour la personne qui va être abusée (confidences de caractère sexuel, caresse des cheveux, embrassade amicale). La personne n'a pas peur, et pour cause : dans 29% des cas, son futur abuseur est un membre de la famille, dans 60% des cas un familier ou un ami. Seuls 11% des abus sont commis par un inconnu. 

c. Une interaction sexuelle ou un contact sexuel

C'est la phase de l'abus proprement dit. Ici la victime se retrouve dans la même situation qu'un lapin traversant une route de nuit et qui est pris dans les phares d'une voiture : pétrifié, figé, tétanisé, incapable de réagir, il se laisse écraser par la voiture. L'abuseur, lui, est conscient de ce qu'il fait à sa victime. 

d. La continuation de l'abus et l'obtention du silence de la victime par la honte, la culpabilisation, les menaces ou les privilèges. 

Ce silence est rarement rompu. L'abus reste un secret absolu très longtemps, parfois toute la vie.

Trois survivantes des sœurs Dionne, les célèbres quintuplées canadiennes, ont attendu l'âge de soixante et un ans pour révéler, dans leur biographie, qu'elles avaient été sexuellement agressées par leur père.

En gardant le silence, la victime se fait, malgré elle, l'alliée de l'abuseur, puisque la seule chose qu'il redoute, c'est d'être dénoncé. Le fait de devenir ainsi, bien involontairement, son alliée, renforce le mépris qu'elle a d'elle-même et sa culpabilité.

Ce sera une des tâches du psy de lui expliquer qu'une personne sexuellement abusée n'est jamais ni coupable ni responsable. Elle ne pouvait pas deviner que les deux premières étapes n'étaient qu'une stratégie de l'abuseur.

Il devra aussi lui dire qu'une personne qui est sous la domination d'un abuseur ne peut s'en sortir qu'en le dénonçant et en révélant ce qu'elle a subi. Or en parler est pour elle très difficile, pour plusieurs raisons.

POURQUOI UNE VICTIME A-T-ELLE TANT DE MAL A PARLER
DE CE QU'ELLE A SUBI ?
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1. Elle met parfois beaucoup de temps pour réaliser qu'elle a été abusée

Le temps ne compte pas pour l'inconscient, il s'est comme arrêté pour la victime : c'est souvent l'apparition de symptômes comme la dépression ou des troubles sexuels qui l'incitera à laisser enfin sa souffrance refaire surface et à accepter d'en parler. C'est le premier pas vers la guérison.

Mais parler de ce traumatisme, prendre conscience de cette vérité : « J'ai été abusée», peut être un choc terrible. Le conseiller aura besoin de tact et d'une grande compassion pour laisser la personne découvrir elle-même et à son rythme, l'ampleur du drame qu'elle a vécu. Il comprendra l'extrême répugnance qu'elle éprouve à admettre que son corps et son âme ont été ravagés. Elle aimerait tant oublier, ne jamais avoir vécu cela, qu'elle se réfugiera de temps en temps dans le déni : « Cela n'a pas pu m'arriver.»

La personne sera encouragée à continuer à parler si vous croyez ce qu'elle dit (elle a absolument besoin de sentir qu'on la croit) et si vous évitez certaines phrases destructrices comme :

-          Il a juste fait une erreur, comme nous en faisons tous.

-          Ce n'est arrivé qu'une fois, après tout.

-          Il est temps que vous tourniez la page.

-          Ça s'est passé il y a si longtemps

2. Elle se sent coupable 

Dans son for intérieur, sans même le dire ouvertement, la personne pense :

- Est-ce que ce n'était pas un peu de ma faute ?

- Est-ce que je n'aurais pas pu l'éviter ?

- Est-ce que, placé dans ma situation, quelqu'un d'autre aurait réussi à résister, à se débattre,
 à s'enfuir?

 Le psy peut aller au devant des questions qu'elle n'ose pas exprimer en lui demandant :

 - Qui détenait le pouvoir (parental, spirituel, moral, organisationnel, physique, psychologique) ?

- Qui était l'adulte ? Le repère social ? Le référent ?

- Qui était l'instigateur, l'organisateur de cet abus ?

- Qui pouvait y mettre fin ?

Il peut lui faire comprendre que sa culpabilité est liée au décalage entre son vécu passé (et les raisons pour lesquelles elle n'a pu empêcher d'être abusée : son jeune âge, son ignorance, sa totale confiance) et son vécu actuel, où elle est plus âgée, moins ignorante, moins naïve et où elle sait se protéger.

Elle se croit coupable parce qu'elle regarde les événements passés avec les yeux de l'adulte avertie qu'elle est aujourd'hui. Or, à l'époque, elle ne possédait pas les protections suffisantes pour empêcher l'abus.

On peut aussi l'aider à différencier le point faible dont s'est servi le pervers, par exemple un besoin de tendresse tout à fait légitime, une confiance aveugle, et le crime qu'il a commis, en profitant de ce besoin légitime d'affection ou de cette confiance, pour assouvir ses désirs immoraux.

Déconnecter ces deux éléments est souvent un moment de vérité et un soulagement pour la personne, qui fait son deuxième pas vers la guérison quand elle ne se sent plus responsable.

Mais le chemin sera encore long jusqu'à la cicatrisation de la blessure. La précipitation et l'impatience sont par conséquent les grands ennemis du conseiller (et du client) dans ce domaine.

3. Parler peut lui coûter cher  

A chaque fois que la personne abusée se replonge dans l'horreur de son passé, elle doit payer un prix très élevé. En essayant d' « oublier» l'abus, de tourner la page, elle avait construit un certain équilibre, par exemple avec ses proches.

Si elle décide de faire éclater la vérité, elle risque de désorganiser cet équilibre factice et de susciter des pressions de ses proches. Il se trouve toujours de faux « bons conseillers» soucieux de leur tranquillité et du qu'en dira-t-on, qui l'accuseront de mentir ou d'exagérer, lui reprocheront de réveiller le passé et l'inciteront à oublier, voire à « pardonner» ; le comble est qu'elle risque même d'être perçue comme responsable de l'abus.

Le psy devra donc la soutenir, l'encourager et assurer sa protection matérielle et psychologique. Il l'aidera à évaluer le prix de la lutte qu'elle devra mener pour sortir du bourbier de l'abus sexuel et à réaliser que son désir de s'en sortir sera souvent contrecarré par ceux qui devraient le plus l'assister : sa famille ou les responsables des institutions.

Il est à noter que lorsque l'abuseur fait partie d'une institution, quelle qu'elle soit, celle-ci décide souvent, par peur du scandale, de le « couvrir» et donc de rester dans le déni de l'abus, plutôt que de reconnaître publiquement l'existence d'un pervers sexuel au sein de l'institution.

Il y a un consensus de réprobation sur la personne qui a le courage de remuer ces choses immondes : qu'elle continue à être comme une morte vivante, ce n'est pas grave. Ce qui est le plus important, c'est qu'elle se taise.

4. Elle souffre de la honte 

Sartre a dit de la honte qu'elle est « l'hémorragie de l'âme». Un abus sexuel marque la personne au fer rouge, la souille, la pousse à se cacher des autres. La honte est un mélange de peur du rejet et de colère envers l'abuseur, qui n'ose pas s'exprimer.

Le sentiment juste qu'elle devrait éprouver est la colère. Eprouver ce sentiment libérateur l'aidera à sortir de la honte. Il faut parfois du temps pour qu'elle parvienne à exprimer son indignation face à l'injustice qui lui a été faite. Cette expression de la colère pourra se faire soit de manière réelle, face au coupable, soit, si ce n'est pas possible pour sa sécurité personnelle, de manière symbolique. Dans tous les cas, c'est à la victime à en décider.

La honte est liée au regard que la victime porte sur elle-même ; elle se voit comme souillée à vie. C'est son regard qui devra changer. Elle se pansera en changeant sa manière de se penser.

4. Le mépris 

Se sentant honteuse, la personne abusée a deux solutions : se mépriser elle-même ou mépriser l'abuseur et ceux qui lui ressemblent. Dans les deux cas, le résultat est le même : elle s'autodétruit, car la haine de soi ou la haine de l'autre sont toutes les deux destructrices.

Le mépris d'elle-même peut concerner son corps, sa sexualité, son besoin d'amour, sa pureté, sa confiance.

Ce mépris de soi a quatre fonctions : il atténue sa honte, étouffe ses aspirations à l'intimité et à la tendresse (se mépriser anesthésie le désir), lui donne l'illusion de maîtriser sa souffrance et lui évite de rechercher la guérison de son être.

Lorsque le mépris de soi est très intense, il peut pousser à la boulimie, à la violence contre soi et au suicide ; dans ces trois cas, la personne châtie son propre corps parce qu'il existe et qu'il a des désirs.

5. Le véritable ennemi  

Si l'on demande à une personne qui a subi un abus sexuel quel est son ennemi, elle répondra sans doute : « C'est le coupable de l'abus.» Cela semble tellement évident.

La victime a le choix : soit elle combat, en cultivant sa haine envers l'abuseur, en ruminant une vengeance contre lui ; soit elle fuit, en cherchant à oublier, en s'endurcissant pour ne plus souffrir, en se repliant sur elle-même, en devenant insensible, de manière à ne plus ressentir ni émotion ni désir.

Mais ces deux solutions sont vaines, car l'ennemi n'est pas l'abuseur. Certes, il représente un problème, mais la bonne nouvelle est qu'il n'est pas le problème majeur. Le véritable adversaire, c'est la détermination de la personne à rester dans sa souffrance, dans sa mort spirituelle et psychique et à refuser de revivre. L'ennemi réside donc, paradoxalement, dans la victime elle-même !

Ce troisième pas vers la guérison est sans doute le plus difficile à franchir. La personne doit comprendre qu’elle a devant elle la vie et la mort, et qu'il n'appartient qu'à elle de rester dans la mort ou de choisir de revivre.

Lorsque le conseiller sent qu'elle a pris la décision de sortir de la pulsion de mort pour entrer dans la pulsion de vie, il aura alors sans doute l'occasion de parler avec elle des trois grands dégâts que l'abus a produits dans sa vie et qui devront être réparés. 

Deuxième partie

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Ce texte est la propriété de Jacques et Claire Poujol , Conseillers Conjugaux et Familiaux. Reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur. 
Conception et mise à jour  Alain Rioux, Psychologue, Tous droits réservés, © Copyright 2004.