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De la psychanalyse à l'autodétermination  

Par Alain Rioux, Ph. D. |   Voir ma page Psycho-Ressources 
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La pensée freudienne est remarquable à plusieurs égards et la découverte des mécanismes inconscients poussant l'individu à agir, amena des changements importants et révolutionnaires dans la pratique de la psychothérapie. La psychanalyse explore de vastes domaines où le comportement et les motivations sont déterminés par des poussées inconscientes, des pulsions, des craintes et des expériences passées. Il s'agit d'un système où les pressions internes poussent l'individu à agir et déterminent son action. 
Par ailleurs, la société, avec ses exigences de performance et la valorisation de certains modèles psychosociaux véhiculés par tout le système médiatique, exerce elle aussi, une pression sur l'être humain.

Elle l'éloigne de ses aspirations profondes. Nous le savons tous, la société accueille davantage les individus jeunes, intelligents, habiles et performants et c'est la recherche d'éléments valorisés par cette société qui nous pousse à courir, à agir, à poursuivre une quête qui n'est pas réellement la nôtre. Il s'agit de pressions qui s'exercent de l'extérieur et influencent l'action de l'homme contemporain. Ce sont des facteurs sociologiques qui se manifestent dans notre éducation, notre travail, nos loisirs et tout l'environnement dans lequel nous évoluons. 

Finalement, tiraillé entre les pressions psychologiques et sociologiques, l'être humain doit aussi s'accommoder d'une condition biologique qui est en partie déterminée par des facteurs héréditaires et qu'il n'a pas choisis. 

Ainsi, coincé entre les pressions externes d'une société ou les règles sont strictes et le menacent de rejet, et un monde interne inexploré, auquel il ne prend malheureusement pas le temps de s'attarder, l'homme moderne expérimente un affaiblissement de sa capacité à agir en tant qu'être responsable. La course engendrée par une société toujours plus exigeante et en perpétuel changement, isole lentement l'individu de lui-même et provoque l'anéantissement de sa volonté et de son pouvoir de décision. Ce phénomène d'abrutissement va même au delà de cette capacité d'agir par soi-même. La société est tellement puissante et l'individu tellement loin de lui-même, convaincu qu'il ne peut changer ce qu'il est, qu'il finit par croire que même s'il exerçait sa volonté et son pouvoir de décision, cela ne servirait à rien.  

A votre avis, l'homme est-il plus que le produit passif d'une société opressante, d'un inconscient sournois et de facteurs héréditaires biologiques et psychologiques ? 

Selon Frankl, psychiatre, docteur en neurologie et en philosophie : "il est dangereux d'enseigner que l'être humain est "uniquement" le produit de conditions biologiques, psychologiques et sociologiques, ou encore de l'hérédité et de son environnement. Une telle vision de l'homme incite le névrosé à croire ce qu'il est enclin à croire de toute façon, soit qu'il est la victime d'influences extérieures ou de circonstances internes". (Découvrir un sens à la vie, Victor E. Frankl, 1984, page 134). 

Rollo May, un éminent psychologue américain, répond aussi à cette question en exprimant la position existentielle contemporaine :
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"Si puissantes que soient les forces qui torturent l'être humain, l'homme a la faculté de savoir qu'il est torturé et d'influencer ainsi de quelque façon, ses rapports avec son destin. Ce grain de pouvoir - permettant de prendre position, de décider d'une question aussi insignifiante soit-elle - ne se perd jamais." (Psychologie existentielle, Rollo May, 1965, page 42).  

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Le docteur Everett L. Shostrom, ex-président de l'American Psychological Association, est aussi de cet avis, il signale que même si la plus grande partie du comportement humain est déterminé par l'histoire personnelle et des forces au-dessus du contrôle de l'homme, le futur de ce dernier est grandement indéterminé et il dispose d'un large éventail d'actions parmi lesquelles choisir. Il explique que l'homme ne peut s'en remettre aux autres, ou blâmer les autres pour sa croissance ou ses lacunes. Même si le développement humain s'insère dans un contexte social particulier, l'individu demeure le seul responsable de sa vie. 

Cette façon de voir l'être humain comme autodéterminé, correspond à un des principes central de l'approche de réadaptation psychosociale implantée maintenant dans plusieurs hôpitaux psychiatriques québécois. Tessier et Clément (1992) deux experts de la réadaptation psychosociale au Québec, mentionne que la réadaptation doit favoriser l'autodétermination des personnes aux prises avec des troubles psychiatriques. Cnaan et al (1988), après avoir recensé plus de deux cents articles signalent eux aussi que l'autodétermination des clients doit être renforcée. Ils en font un des principes de base de la réadaptation psychosociale en insistant sur le fait qu'il faut reconnaître le droit et la capacité de prendre des décisions des personnes aux prises avec des troubles mentaux..

Comme nous avons tendance à nous croire nous-mêmes sous l'influence de plusieurs phénomènes sociaux, psychologiques et biologiques et qu'il est difficile pour les individus bien intégrés dans la société d'assumer la responsabilité de leur vie totalement, il est aussi difficile pour nous de reconnaître que les personnes vivant dans les hôpitaux psychiatriques sont aptes à faire des choix, à prendre des décisions, à assumer une certaine liberté. 

Selon Frankl (1984), la personne demeure toujours limitée et sa liberté aussi, cependant même si elle n'est pas libre par rapport aux conditions qui l'entourent (contexte socio-économique défavorisé, handicap physique ou traumatisme crânien) elle conserve la liberté de prendre position à l'égard de ces facteurs plus ou moins immuables. De plus, selon May (1965) le modèle médical et plusieurs formes de thérapie, comme la psychanalyse, incitent bien involontairement le malade à abandonner sa position d'agent capable de décider. Toute approche niant la liberté de l'être humain ne fait que renforcer un fatalisme névrotique. Il faut avouer qu'il est difficile pour une personne en réadaptation d'exprimer sa capacité d'agir devant une équipe multidisciplinaire composée d'experts de la maladie mentale et du comportement humain. 

Frankl explique bien l'erreur que nous devons éviter à tout prix en psychothérapie et, à mon avis, dans le domaine de la réadaptation aussi :  
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"Ainsi chaque être humain possède la liberté de changer à chaque instant. C'est pourquoi on ne peut prédire son avenir que dans le cadre d'un sondage se rapportant à un groupe entier; sa personnalité, elle, reste essentiellement imprévisible. Toutes prédictions devraient être fondées sur les conditions biologiques, psychologiques et sociologiques qui l'entourent. Or, une des principales caractéristiques de l'être humain est sa capacité de s'élever au-dessus de ces conditions. Il est capable dans la mesure du possible, de changer le monde d'une manière positive et de s'améliorer si nécessaire." (Découvrir un sens à sa vie, Victor E. Frankl, 1984, page 135). 

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Nous croyons que c'est en permettant à la personne d'effectuer des choix au delà des prédictions des experts que celle-ci pourra s'engager dans un changement. Selon Marianne Farkas (1986) la réadaptation psychosociale doit offrir à la personne la possibilité d'effectuer des choix et l'aider à en assumer les conséquences. Elle suggère que c'est en vivant une multitude d'expériences que la personne peut prendre une décision éclairée en rapport avec son projet de vie et peut-être, si elle en a la volonté, s'engager dans l'action et le changement.

.Par Alain Rioux, Ph. D. |   Voir ma page Psycho-Ressources 
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