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psychothérapie

Le vrai visage de la psychothérapie
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par Serge Ginger, Secrétaire général de la Fédération Française de Psychothérapie (FFdP)

ÉTATS
GÉNÉRAUX DE LA PSYCHOTHÉRAPIE
Paris, 4 et 5 mai 2001

Serge Ginger est psychologue clinicien et psychothérapeute didacticien en Gestalt-thérapie. Il est le fondateur de l'École Parisienne de Gestalt (EPG), le président de la Fédération internationale des Organismes de Formation à la Gestalt (FORGE) et l'auteur de plusieurs best-sellers sur la Gestalt, traduits en 10 langues. [ Références: GINGER S. et A. (1987). La Gestalt, une thérapie du contact. Hommes et groupes, Paris. 7e édition : 2003, 550 pages. (la nouvelle édition, de 2003 comporte une 15aine de pages supplémentaires); GINGER S. (1995). La Gestalt, l’art du contact. Guide de poche Marabout, Paris. 7e édition : 2004, 290 pages. (les éditions belges Marabout ont été rachetées par Hachette, Paris).] 

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Monsieur le Ministre, Monsieur le Député, Monsieur le Président,
Chers Collègues et Amis, 

J’ai l’honneur et le plaisir de vous commenter ce soir, les premiers résultats d’une enquête — en deux parties — qui vient d’être effectuée, à l’occasion de nos États généraux, à l’initiative de la Fédération Française de Psychothérapie (FFdP), en partenariat avec le magazine « Psychologies » et l’Institut national de sondages BVA.

Il s’agit, à ma connaissance, de la première enquête d’envergure nationale sur le sujet, cherchant à préciser l’image de la Psychothérapie auprès de grand public et auprès des bénéficiaires eux-mêmes. Comme vous allez le voir, les résultats sont, à bien des égards, très différents des hypothèses ou assertions des professionnels de la psychothérapie — trop souvent obnubilés par leurs convictions, voire par leurs « querelles de clochers ».

Donc, dans un premier temps, l’Institut de sondage BVA a interrogé par téléphone, de janvier à mars 2001, un échantillon de 8 069 adultes (de 15 ans et plus), échantillon représentatif de la population française, sélectionné selon la méthode dite « des quotas », c’est-à-dire en respectant les proportions effectives d’hommes et de femmes, de tous âges, professions, niveaux d’instruction et domicile. Ainsi, nous obtenons les réponses aussi bien d’une jeune paysanne de Corrèze que d’un professeur de faculté parisien. 

Dans un second temps, le magazine Psychologies a proposé la même enquête « en ligne », c’est-à-dire sur Internet. Il s’agit, cette fois-ci, d’une population non représentative de l’ensemble des Français, mais des lecteurs du magazine, et parmi eux, de ceux qui sont branchés sur Internet, et parmi ces derniers, de ceux qui ont pris la peine de répondre. De plus, n’étaient invités à participer que les personnes suivant, ou ayant suivi, une psychothérapie : il s’agit donc cette fois-ci d’une population particulièrement ciblée, selon quatre critères successifs : lecteurs, « branchés », ayant une expérience de la psychothérapie, et volontaires pour répondre.

Trop souvent, les enquêtes portent sur un tel échantillon, « biaisé » dès le départ. Il en est ainsi, par exemple, de la célèbre enquête américaine, connue sous le nom de Consumer Reports (1995), entreprise par un grand magazine de consommateurs, comptant 4 millions d’abonnés. Le magazine avait sélectionné au hasard 180 000 lecteurs, à qui il avait adressé un questionnaire détaillé et avait obtenu 22 000 réponses (soit un taux particulièrement élevé de 12 % de réponses) — dont 4 000 ayant suivi, ou suivant encore, une psychothérapie (soit 18 %… parmi les personnes ayant pris la peine de répondre ! ). Les données recueillies ont fait l’objet de très nombreuses publications scientifiques (représentant plusieurs milliers de pages d’analyse) et d’un volumineux numéro spécial de la revue American Psychologist (1). Je ne veux pas alourdir cet exposé par une avalanche indigeste de chiffres, et je vous fais grâce des résultats de cette recherche — dont je me suis assez largement inspiré pour élaborer le contenu de notre questionnaire.

J’ai reformulé, par rapport à notre contexte culturel français, une vingtaine de questions concernant les motifs de consultation, les modalités de la psychothérapie (méthode, durée, fréquence des séances, setting, tarifs pratiqués) et son évaluation par le client. J’ai ensuite soumis le questionnaire pour amendements à mes collègues du CA de la FFdP, puis aux journalistes de Psychologies magazine et enfin, aux statisticiens de BVA.

Au total, l’ensemble de ces deux enquêtes a donc touché près de 9 000 Français — dont plus de 1 000 clients (2) de psychothérapie — mais je me garderai bien d’additionner les données de deux populations fondamentalement différentes, comme le montrera ma première analyse des résultats.

Voilà donc pour les prémisses de cette recherche. Ce soir, je vais être assez bref et je vais donc me contenter de partager avec vous quelques remarques, concernant notamment les surprises de cette enquête en deux volets. Pour un peu plus de détails chiffrés, je vous renvoie à l’excellent numéro 197 (de mai 2001) de Psychologies, qui comporte un « dossier spécial » de 40 pages sur les Psychothérapies, et notamment un article sur l’enquête — que nous avons rédigé avec Isabelle Taubes.

Que nous révèle donc ce premier regard sur la psychothérapie, vue « de l’intérieur », et non plus complaisamment éclairée — voire colorée — par ses promoteurs ?


Un grand besoin d’information du public

Cette première enquête révèle d’emblée deux surprises par rapport aux idées communément reçues concernant la place réelle de la psychothérapie et de la psychanalyse dans notre société ; elle confirme par ailleurs un grand besoin d’information.

1. Malgré le battage médiatique, les « psys » sont loin d’avoir « envahi la France » : 1,7 % seulement de la population est en psychothérapie aujourd’hui ! On verra plus loin que ce faible pourcentage par rapport aux pays voisins n’est pas, pour autant, négligeable.

2. La psychanalyse classique (plusieurs séances par semaine sur divan, pendant plusieurs années) ne concerne que 12 % des patients actuels. On peut ajouter les 18 % de personnes qui disent avoir pratiqué une psychothérapie d’inspiration psychanalytique (ou « PIP » )(3) en face à face — souvent brève et plus légère (un tiers de ces thérapies de soutien ont duré moins d’un an), soit un total de 30 % déclarant avoir fait une analyse ;

Par conséquent, il reste 70 % des psychothérapies qui ne sont pas analytiques : 

  • 20 % sont des thérapies comportementales (centrées sur le symptôme) ; 

  • 12 % sont explicitement des nouvelles thérapies dites « humanistes ou existentielles », prenant en compte la personne globale, dans ses dimensions corporelles, émotionnelles, cognitives, sociales et spirituelles (analyse transactionnelle, hypnose ericksonienne, PNL thérapeutique, thérapies psychocorporelles, Gestalt-thérapie, etc.) ; 

  • 12 % sont présentées par les personnes interrogées comme des « thérapies familiales » ou de couple. Nous verrons tout à l’heure qu’il n’en est rien !

  • 26 % sont des thérapies mal définies par le public bénéficiaire( qui les décrit, sans les nommer).

3. En fait, la population générale reste très mal informée. Quelques exemples flagrants : 

  • 41 % des patients ignorent en réalité la méthode utilisée par leur thérapeute, et 59 % de ceux qui sont en analyse, ignorent l’obédience de leur psychanalyste (freudienne, lacanienne, jungienne, kleinienne) ;

  • parmi ceux qui pensent suivre une « thérapie de couple » ou une « thérapie familiale », seuls 50 % se rendent à leurs séances avec leur partenaire ou avec des membres de leur famille ! Le simple fait de parler de leur conjoint ou de leur famille semble leur faire considérer qu’ils font une thérapie « de couple » ou une thérapie « familiale », puis-que cette thérapie améliore les relations de couple ou l’équilibre familial.

  • les patients confondent encore les différentes catégories de « psys » : psychiatre, psychologue, psychanalyste et psychothérapeute : le fait d’avoir un entretien d’un quart d’heure avec le psychiatre à l’occasion de la prescription d’un traitement chimiothérapique est considéré par beaucoup comme une « psychothérapie ». On est frappé de constater que parmi la population générale, la moitié des clients sont suivis par un psychiatre et prennent des médicaments psychotropes (4) , tandis que leurs « séances » durent d’un quart d’heure à une demi-heure, de une à deux fois par mois, pendant six mois à un an (5) , au tarif habituel des consultations psychiatriques (les 3/4 des clients paient moins de 300 F (6)). On sait que la France est largement « championne du monde » de consommation de psychotropes : les médecins français prescrivent trois fois plus de « médicaments de l’âme » que leurs voisins allemands ou anglais, et deux fois plus que leurs collègues italiens.

  • Parmi la population mieux informée des lecteurs « branchés » du magazine Psychologies, les chiffres sont notable-ment différents :

On y trouve, tout d’abord, un pourcentage significatif de 84 % de femmes (au lieu de 65 % dans la population générale), dont 48 % ont entre 35 et 50 ans (contre 19 % seulement, en moyenne), et… 0,5 % d’ouvriers — alors que, dans la population française, 18 % d’ouvriers déclarent (ou pensent) avoir suivi une psychothérapie, soit 36 fois plus ! 
Les lecteurs (ou lectrices) de Psychologies connaissent, pour la plupart, la méthode de référence de leur thérapeute, 43 % d’entre eux ont fait une thérapie de plus de 3 ans, et seulement 1,3 % une véritable « thérapie familiale » ; 15 % ont eu recours à l’analyse transactionnelle, 10 % à la Gestalt-thérapie, 4 % à une approche rogerienne centrée sur le client, 4 % à une approche psycho-corporelle, 3 % à la psychosynthèse et 2 % à l’hypnose ericksonienne. Dans cette population ciblée, le total explicite des psychothérapies humanistes atteint 52 % (au lieu de 12 % dans la population générale) et la psychanalyse concerne 40 % des patients (20 % d’analyse freudienne, 7 % lacanienne,4 % jungienne et 0,5 % kleinienne, le reste étant une psychothérapie analytique).
Enfin — et ce n’est pas négligeable — la prescription de psychotropes tombe à 33 % pendant la thérapie et 5 % (sic) après, contre respectivement : 49 % et 27 % dans la population générale !

J’arrête là, pour le moment, ces chiffres un peu indigestes, puisés dans deux liasses de dépouillement totalisant 75 pages de chiffres et de pourcentages — avec 200 à 500 chiffres ou pourcentages par page, soit un océan de plus de 30 000 chiffres — sur lesquels j’ai longuement médité, mais dont je vous fais grâce ce soir !). 

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Une réglementation nécessaire

En plus des quelques chiffres que vous trouverez donc dans l’article d’Isabelle Taubes, je voudrais développer, pour terminer, un des nombreux enseignements de cette enquête :

1,7 % des 47 520 000 Français de plus de 15 ans sont donc en cours de psychothérapie : ce pourcentage est faible — notamment par rapport aux pays voisins (Allemagne, Autriche, Grande-Bretagne, Italie… sans parler des États-Unis). 
Il représente cependant un nombre non négligeable de 800 000 patients ou clients — voire un million, lorsqu’on prend en compte les enfants de moins de 15 ans, non inclus dans l’enquête. 

Si l’on considère qu’un thérapeute suit en moyenne de 50 à 70 patients/clients par an (en thérapie individuelle ou de groupe, brève ou longue), cela représente de 10 000 à 15 000 psychothérapeutes en fonction — ce qui recoupe les estimations françaises habituelles. 

Lorsqu’on considère que les besoins réels d’accompagnement psychothérapeutique dépassent très largement les 2 % actuellement assurés, on peut — sans crainte d’exagération — doubler, voire tripler, le nombre de psychothérapeutes professionnels qualifiés nécessaires.

Si l’on ajoute les 3,5 % de notre enquête qui déclarent avoir suivi une psychothérapie dans le passé, on obtient un total de 5,2 % de la population (7) , soit 2,5 millions de personnes — auxquelles il convient d’ajouter les enfants. 
Ainsi au total, plus de 3 millions de Français suivent — ou ont suivi — une psychothérapie.

Lorsqu’on admet que l’impact d’une psychothérapie touche directement les proches (conjoint, parents, enfants), on voit de suite qu’en réalité, la psychothérapie concerne, plus ou moins directement, près de huit millions de Français. 

Il est donc nécessaire qu’elle soit officiellement réglementée, pour protéger le public contre des abus possibles : charlatans mal formés ou sans scrupules, voire mouvements sectaires qui se livrent à des manipulations mentales en vue d’une exploitation idéologique, financière ou sexuelle de personnalités fragiles, en usurpant parfois des méthodes psychologiques.

Heureusement, la grande majorité des professionnels sont bien formés, compétents et consciencieux — comme le confirment les 84 % de satisfaits de l’enquête (pourcentage identique dans les deux échantillons).

Les caricatures de psychanalystes ou psychothérapeutes malades ou obsédés, voire pervers, véhiculés par certains médias (films ou articles de journaux à sensation) ne correspondent pas à la réalité : ainsi, par exemple, seuls 1,4 % des personnes interrogées se plaignent d’un « comportement sexuel ambigu » de leur thérapeute (question explicite-ment posée dans l’enquête)… mais vous allez sans doute être surpris d’apprendre qu’il s’agit d’une femme et de 5 hommes, chacun en thérapie de couple !
Mais il est vrai « qu’un seul arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt entière qui pousse » (proverbe chinois).

En réalité, les clients apprécient très largement les qualités de leur thérapeute, qualité d’écoute (87 %), d’intuition (24 à 46 % — selon les deux volets de l’enquête), de discrétion (26 à 42 %) et de rigueur ((23 à 32 %) ; tandis que les rares critiques portent essentiellement sur la froideur ou le mutisme (18 %) de leur thérapeute ou psychanalyste ; seuls 5 à 7 % estiment les exigences financières excessives ; quelques autres reprochent à leur thérapeutes un man-que de ponctualité, ou encore, n’apprécient guère qu’il s’endorme au milieu d’une séance !

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7 ans de formation pour les psychothérapeutes

La Fédération Française de Psychothérapie — et d’autres groupements professionnels — réclament des pouvoirs publics un contrôle du titre et de l’exercice de la profession, conformes aux normes de l’Association Européenne de Psychothérapie, soit une formation de niveau bac + 7, comprenant six éléments indissociables :

  • une psychothérapie personnelle approfondie ;

  • 3 ans au moins dans une branche des sciences humaines (médecine, psychologie, travail social, soins infirmiers, enseignement, etc.) ;

  • une formation spécifique théorique, technique et pratique, de 4 années à l’une des vingt méthodes principales, re-connues au niveau européen comme scientifiques (8) ;

  • une supervision régulière de la pratique clinique ;

  • un engagement à respecter strictement le code de déontologie ;

  • une reconnaissance par une commission nationale de pairs. 

Une telle formation complète peut être notamment sanctionnée par le Certificat Européen de Psychothérapie (CEP), délivré par l’EAP, en concertation avec la Commission de Bruxelles (le Gouvernement européen) et visant notamment à favoriser la libre circulation des spécialistes au sein de l’Union européenne.

Une réglementation réaliste de la profession de psychothérapeute, contrôlée par l’État, les fédérations et les syndicats, permettra d’assurer aux clients bénéficiaires la garantie d’un accompagnement de qualité. Elle devrait, de plus, contribuer à réduire la consommation et le coût des prescriptions médicamenteuses.

Cette enquête aura ainsi confirmé à la fois l’importance des besoins, l’efficacité de la psychothérapie et son impact dans l’économie nationale de la Santé ; mais elle souligne avant tout l’urgent besoin d’une information large et objective du public. 
indissociables.

La mise au point d’une Charte de l’usager, précisant ses droits (tels que le droit de connaître la méthode pratiquée ou le temps imparti à chaque séance… sans parler du droit aux vacances indépendantes de celles de son analyste), une telle Charte — qui sera discutée demain — pourrait en être un premier élément appréciable.

Je vous remercie de votre attention.

Serge Ginger
E-mail: ginger@noos.fr 


NOTES:
1- Journal of the American Psychological Association, Volume 51, Number 10, oct. 1996.
2- Conformément à la tradition de la Psychologie humaniste, et au sens étymologique des termes, je parlerai du « client » (sujet actif et responsable, qui requiert un service moyennant rétribution), plutôt que du « patient » (malade passif et soumis, objet de soins).
3- Rappelons que la France est aujourd’hui, avec l’Argentine, le pays au monde où la psychanalyse est la plus répandue. Ainsi par exemple, en Autriche — pays natal de Freud — seuls 4,8 % des psychothérapeutes (diplômés d’État) pratiquent la psychanalyse.
4- Le Rapport Zarifian au Premier Ministre (1996) révèle qu’après une consultation de 8 à 15 minutes, des « médicaments de l’âme » sont prescrits (à 83 % par des généralistes) médicaments qui seront ensuite pris par les consultants pendant une moyenne de… 7 ans 1/2 ! — du fait d'une accoutumance entraînant des prescriptions successives par divers praticiens : abus manifeste et dangereux — que la généralisation espérée du Carnet de santé et de la carte Vitale devrait modérer.
5- 26 % de « psychothérapies » de moins de 6 mois, et 24 % de 6 mois à un an, soit 50 % de moins d’un an.
6- 26 % déclarent payer moins de 200 F par séance, et 47 % de 200 à 300 F.
7- Voici les chiffres moyens de trois enquêtes nationales américaines (1954, 1976,1995) : sont, ou ont été, suivis en thérapie par un psychologue ou un psychiatre : 8 % de la population générale ; par un travailleur social : 6 % ; par un conseiller conjugal : 4 % ; par le médecin de famille : 5 %, soit un total supérieur à 20 % — une proportion quatre fois supérieure à la France ! Encore, faudrait-il y ajouter les 6 à 10 % d’Américains se disant accompagnés « en psychothérapie » par un membre du clergé.
8- Contrairement à plusieurs pays européens, la France n’offre pas pour le moment de formation universitaire à la psychothérapie. Cette spécialité ne fait pas explicitement partie de la formation de base ni des psychiatres, ni des psychologues, et ceux d’entre eux qui désirent exercer comme psychothérapeutes complètent — pour la plupart — leur formation, à titre personnel, dans des instituts privés.

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