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Du non du Père... Au nom du fils. 
(Texte témoignage)

Par Jean-Jacques Gérard, Consultant psycho-éducatif
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« Le sens du monde c’est le sourire d’un enfant »
« Il n’y a de liberté que de liberté pour.. ! »
Charles Beaudouin


Mon fils François est mort à Valence le 5 février 1984, il a été étranglé après avoir été violé !

Comprendre ne signifiait ni pardonner, ni excuser !!
Comprendre c’était d’abord : « faire avec… »
Et la question la plus probable était devenue : Comment… ??


Pour beaucoup il n’y avait rien à comprendre, ils diront :
« Il faut tous Les tuer, ou bien leur couper les couilles… ! » …

Je savais que nombreux étaient ceux qui restaient fixés sur les peurs, haines et impuissance ; cela aussi j’en avais fait l’épreuve !!
Ne pas être compris, pour longtemps ferait parti de ce fardeau, j’en ressentais souvent amertume et colère : comme si cela ne suffisait pas de m’être trouvé isolé dans un drame terrible et une mauvaise affaire judiciaire, il fallait en plus me coltiner à l’aveuglement de ceux qui croyaient savoir !!

Vouloir comprendre : cela avait eu pour effet de mobiliser les médias
(Voire libération 4 pages le 15 novembre 1989… « La rencontre du Père et de l’assassin présumé »
et JT de la 1 chaîne dans la même semaine ; et ainsi d’attirer l’attention sur celui qui avait été remis en liberté suite à une bavure judiciaire et qui plus tard sera reconnu pour être l’assassin : Patrick Thomas (à l’époque pas jugé mais présumé coupable par la chambre d’accusation de Grenoble)
En Août 1989 il m’invita à une rencontre clandestine ….par la suite le Procureur visionna la vidéo de cette rencontre, en parla au président du tribunal , qui pris la décision de réincarcérer P.Thomas il fut jugé deux semaines après - il avait 18 ans au moment des faits- reconnu coupable il fut condamné à seize années de réclusion….la justice était enfin passée !! quelque soit notre avis sur le verdict !!

Comprendre comment quelqu’un peut en arriver là ? Je me proposais déjà à cette époque de créer une structure d’accueil pour adolescents difficiles ; il me faudra hisser ma réflexion au niveau des modes de prévention des comportements violents et des récidives ; et y consacrer pas moins d’une vingtaine d’années Mes réponses aujourd’hui se traduisent par des propositions concrètes de dispositifs à mettre en place…comprendre cela me permit aussi d’aider un certain nombre de victime dans le cadre d’affaires criminelles…..
Démarche qui ne pouvait se réduire à quelques réflexions sur le pardon….
Des questions de journalistes auxquelles je n’avais su répondre et j’en avais payé moralement le prix ! 
Aujourd’hui ma réponse est la suivante :
« Quand on évoque le pardon il importe de savoir si les conditions de celui-ci sont réunis ou pas …. ? »
« Car s’il existe le pardon, il existe aussi l’impardonnable…. »
En violant et tuant mon fils, Patrick Thomas s’ est trouvé dans les conditions de l’ impardonnable !!
Plus tard le simplisme revint sous la forme d’un article qui parlait des méthodes musclées que je préconisais (Dauphiné libéré 2004), l’ignorance était à son comble : je m’étais contenté de préciser
en quoi les dispositifs de soins relationnels devaient être fermés !! : 
« pour la protection des usagers de leur projet soignant et de l’ordre public !! »

Tout cela était surtout une question de cohérence au regard des constations faites dans le cadre de la clinique des comportements violents et des récidives….

Vouloir comprendre ce qui s’était passé autour de la mort de François m’a permis aussi de trouver le chemin de mes propres réparations psychologiques et affectives , d’aider des victimes, des auteurs potentiels et j’ajoute que c’est grâce aussi à cette démarche singulière que l’assassin (qui avait été remis en liberté) sera réincarcéré et enfin jugé !! Je n’avait pas à me justifier du fait de l’ignorance des autres… !!

La question pourquoi le père a voulu comprendre ( avec souvent dans le non dit : il n’y a rien à comprendre) ? est tout à fait saugrenue au regard d’autres beaucoup plus importantes comme : qu’a t-il compris ? et a quoi cela peut servir ??

François n’était plus…. J’ aurais pu en mourir voire en devenir fou etc….
Je me suis engagé du coté des préventions des comportements violents et des récidives (chez l’adolescent et jeune majeur) c’est ainsi que je suis devenu consultant psycho-éducatif dans le secteur de l’enfance en danger .

En 2004 jacques Chirac dans son discourt sur la sécurité reprendra à son compte une partie de mes propos, tenus dans un mémoire que j’ai transmis à Nicolas Sarkosi quelques mois avant et dans lequel il est question de soins et de dispositifs spécifiques que je préconise déjà depuis plusieurs années :

Moi-même : 
« les crimes et délits les plus graves sont commis par un faible pourcentage de personnes!
Leurs auteurs sont psychologiquement très fragiles, la plupart cèdent à l’emprise d’un registre pulsionnel irrépressible, incontrôlable, imbriqué dans des carences parfois très précoces, 
des traumatismes divers etc……ce qui signe l’irresponsabilité !!

Nous pouvons dire que ces personnes (qui ne peuvent pas toujours se reconnaître comme auteur car des mécanismes psychologiques puissants sont en général à l’œuvre) ne sont pas responsable ; étymologiquement : ne sont pas en situation de pouvoir répondre de leurs actes. (au regard des troubles graves dont elles sont affectées) 
Le « ça été plus fort que moi… !! » est à prendre au pied de la lettre !!
ces personnes sont par conséquent dangereuses !! 
la primauté donnée aux réponses éducatives est inadéquat à ces constatations La nature des troubles témoigne de la nécessité d’apporter des réponses soignantes sur le terrain psychologique !!
Jusqu'à maintenant aucun dispositif sérieux n’a été mis en place pour y répondre !

Les confusions diagnostiques peuvent être des occasions d’autres dangers … !! 

Les réponses par défaut sont multiples et terreaux de récidives : prisons, hôpitaux psychiatriques, ( alors que les psychiatres les plus honnêtes reconnaissent en la matière les limites de leurs compétences) foyers de l’enfance, centres d’éducation renforcée, voire centres fermés…avec en plus un prix de journée par jeune qui voisine les 550 euros… !!??

Parfois, au nom de je ne sais quel prétexte éducatif ; faisant fi de la nature des troubles (qui masque souvent une sorte d’impuissance/ignorance) des éducateurs repoussent plus ou moins consciemment le problème au loin , en envoyant ces jeunes en Afrique ou ailleurs …..les problèmes ne sont alors que déplacés avec en plus les risques que l’ont fait courir au pays accueillant.
Ces jeunes peuvent être menés en bateau, en land Rover ou en dromadaire, on ne fait vraiment que déplacer le problème, il y a souvent une confusion entre la mise à distance du jeune et la mise en perspective du problème qu’il pose . !!

Des réponses relationnelles/soignantes existent dans le champ psychologique/
psychothérapeutique et rééducatif, ces réponses supposent de nouveaux regards, de nouvelles perspectives, d’autres formations pour de véritables cliniciens de l’intervention éducative/psychologique, dotés de connaissances vivantes des troubles de la personnalités et des outils psycho-rééducatifs soignants, ici la personne de l’intervenant doit être beaucoup plus impliquée et paradoxalement mieux protégée, car la relation est au cœur du processus !!

En 10 ans d’exercice dans le cadre de consultations spécialisées je n’ai rencontré que quelques rares personnes qui prenne vraiment conscience des carences institutionnelles actuelles.
( carence qui sont en miroir avec celles des jeunes qu’il faudrait traité) chacun se renvoie la balle : dès que l’on dit qu’il faut autre chose, alors les professionnels se vivent plus ou moins consciemment comme remis en cause, voire menacés dans leur fonction ; ce qui tout en révélant quelques fragilités , n’apporte aucune réponse !
Dans le même esprit et contradictoirement il n’est pas si courant de rencontrer des professionnels qui consentent à faire un travail sur eux même…. ; beaucoup sont encore dans la crainte du psychologique/psychothérapeutique, qu’ils préconisent pourtant aux autres … !!??. (sic)

Combien d’affaires scabreuses ont déjà fait la une de la presse ….ce n’est pas par hasard !

Il importe d’avoir l’audace d’innover, de se former à de nouvelles réponses, au sortir des clivages corporatistes, créer enfin des dispositifs adéquats ; avec des modes de contrôle, d’évaluation et de régulation des pratiques ! 

Peu importe que cela rentre ou pas dans le moule des institutions existantes
N’oublions pas non plus que « les grands corps » sécrètent leur propres idéologie : corps social, médical, judiciaire… avec en corollaire la volonté de pérennité institutionnelle qui l’emporte parfois à l’insu des acteurs eux-mêmes sur les intérêts des usagers ; nous pouvons légitimement nous alarmer :
Nous sommes alors en présence de perversions des fondements même de l’institution !!

Au cours des journées du 4/5/6 mars 1990 à la cours d’assise de Valence dans le cadre du procès P.Thomas accusé de viol aggravé et meurtre sur la personne de François ( 9ans et demi).

Mlle Poli pour le procureur de la république nous dira que dans ce double crime il y a des responsabilité satellites et notamment celle des institutions dites spécialisées :
« A quoi servent ces institutions qui ont pour mission d’aider ces jeunes… ? » 
« Patrick Thomas a eu l’occasion d’en fréquenter à plusieurs reprises….
les enquêtes ont démontré que sa détresse/ dangerosité avait été repérée………et puis….RIEN !! 
Personne n’a su quoi faire dans ces centres pour l’ aider !! Aujourd’hui, il est là !!?? »

Alors j’ai envie de dire à cette personne clairvoyante ! :
« Melle, entre les images que nous nous faisons des institutions qui ont pour mission d’aider ces jeunes et les réalités des mêmes institution il y a un écart colossal vous l’aviez pressentis… :
Mes interventions dans le secteur social m’ont conduit à des constats alarmants :
Beaucoup trop de personnes pas, peu ou mal formé….des corporatismes enfermant, clivés 
des acteurs fragilisés dans des enjeux inconscients….l e souci de l’image.. de la vitrine sociale … !
Quand au mot « Fermé » il est chargé d’un sens moral culpabilisant et/ou associé au mot punir, au lieu et place d’un sens clinique : Lieu/espace Contenant qui favorise l’ étayage de la personnalité dans un processus de reconstruction, contenant c’est aussi doté de contours/limites, ce qui n’est pas rien quand nous savons que certains des usagers ignorent jusqu'à leurs limites corporelles.
Fermé dans le sens de protection du projet soignant, des personnes et de l’ordre public les possibilités de contention, sont une autre nécessité qui font partie intégrante du dispositif soignant, question de sens et de stratégie !! 

Les réponses éducatives donnent la primauté à la notion de contrat ce qui est tout à fait inadapté aux personnes dont le niveau de conscience est particulièrement faible « les incasables » !

Ce travail requiert solidité et maturité à beaucoup d’égards, d’autant que nous savons que le risque suicidaire fait partie de la donne (Quand l’objet de la pulsion devient le jeune lui-même !) 
les intervenants doivent très bien connaître la nature des troubles et des risques corollaires pour ne pas sombrer le cas échéant dans un jeu de culpabilité morbide, ce qui suppose pour eux un dispositif de soutien relationnel efficace. 

En conclusion : 

Ouvrir ce secteur a de nouvelles entreprises c’est favoriser des initiatives au delà des appartenances corporatistes voire étatiques et ainsi libérer le champ social- éducatif - psychologique du carcan dans lequel il est trop souvent englué !!
C’est accueillir de nouveaux professionnels compétents (connaissant les troubles psychologiques et les outils soignants !) , talentueux, au service de leurs valeurs, responsables, audacieux , dans le plaisir d’un travail enfin réparateur … !! 
Ce nouvel élan doit être la Conjugaison d’initiatives individuelles et d’encouragements des pouvoirs publics...

Cela je le pense honorera la mémoire de François et des autres !! 

JJ Gérard

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