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Réflexion sur le Masochisme
Pulsions de Vie et Pulsions de Mort, Masochisme Gardien
 

Cours du Département de formation paris XVII
Docteur Erick Dietrich - Paris, France -
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En collaboration avec Ghislaine Duboc et Marine Dietrich - Corrections et mise en forme : Christine Houyel

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Réflexion sur le Masochisme
Pulsions de Vie et Pulsions de Mort, Masochisme Gardien
 

L’expression de « masochisme gardien de la vie » surprend, pourtant le caractère positif de certaines conduites masochiques a été à plusieurs reprises souligné. Racamier a abordé le rôle contre-dépressif du masochisme et Kestemberg reconnaît qu’il joue un rôle guérison dans certaines psychoses. L’utilisation du masochisme paraît irrationnel dans le « principe de plaisir » puisqu’il mène au déplaisir. « S’il peut-être gardien de la vie, il faut néanmoins l’empêcher de devenir, quand il est au service de la pulsion de mort, le maître d’œuvre d’un désinvestissement du corps sensible, de l’humanité de l’être car il deviendrait destructeur » (Ghislaine Duboc). Dans l’au-delà du principe de plaisir, nous comprenons que le masochisme érogène, la douleur érotisée ou sexualisée génère une source d’excitation très importante qui permet d’alimenter, comme nous le verrons, un réservoir énergétique. Freud, dans « Métapsychologie » et notre analyse de nos cas cliniques nous apprennent que, dans certaines conditions, la douleur, la soumission et le déplaisir, outre le fait qu’ils augmentent l’excitation et la charge énergique, peuvent être vécues comme un plaisir. « La soumission devient-elle, dans son accomplissement même, le contraire de ce qu’elle est dans l’instant ? Comme conscience refoulée en elle-même, la soumission s’intériorisera et se convertira en une véritable indépendance » Hegel, (Phénoménologie de l’esprit, 1807). 

Erick Dietrich

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Ainsi, pour le masochiste, c'est le dominant qui est l'essence. Toutefois, il a fait en lui-même cette vérité de la douleur*(1) et de l'être-pour-soi ; car il a fait en lui l'expérience de cette essence. Cette conscience a éprouvé de l'angoisse, non au sujet de telle ou telle chose, non durant tel ou tel instant, mais il a éprouvé de l'angoisse au sujet de l'intégralité de son essence, car il a ressenti la peur de la mort, le maître absolu. En utilisant la douleur, il tente d’éliminer son angoisse et la peur de la mort. La recherche en sexologie nous a montré que l’excitation sexuelle peut parfois devenir déplaisir de par les mécanismes de tension et de charge ; l’utilisation des mécanismes sadiques et masochiques permet alors la décharge d’un déplaisir qui aurait rendue impossible la décharge elle-même, donc l’orgasme. Nous sommes tous d’accord pour dire, en fonction des écoles et des concepts, que le masochisme est envisagé comme un facteur constitutionnel, ou comme une conséquence de la bisexualité, ou encore comme la résultante de la pulsion de mort, ou enfin comme du sadisme retourné contre le Moi. Les cas d’observations cliniques font apparaître plus particulièrement que les enjeux ne sont pas assez pris en considération. « Le masochisme peut régénérer mais devient destructeur quand il est infiltré par la pulsion de mort, il devient alors le siège de la mort » (Ghislaine Duboc).
Il me semble qu’il serait utile, comme pour le sadisme, d’envisager une perspective de divers stades de fixation libidinale en ce qui concerne le masochisme. 
Quand les auteurs parlent de masochisme primaire, font-ils référence à l’oralité ? Quant au masochisme mortifère, comment devons-nous le considérer ? Comme un masochisme non érogène ou comme un masochisme destructeur ?

Selon Rosenberg (1991) il paraît nécessaire de dépasser les concepts « du problème économique du masochisme » vu par Freud. Peut-on continuer de rassembler sous le même concept le masochisme du Moi qui tente de décrire la capacité du Moi à endurer les tensions internes, le masochisme moral, le besoin de punition, la perversion sexuelle masochiste et enfin le masochisme dit « féminin » ?

Pour nous le concept de trauma reste central dans notre approche. Freud, entre 1895 et 1920 se réfère à l’énergie sexuelle qui est intimement lié à la théorie de la libido. Ce modèle, qui désigne l'action de la séduction sexuelle comme présidant à l'organisation psychique (qui intéresse la mémoire, le refoulement et sa levée) est celui qui prédomine jusqu'en 1920. Dans un premier temps, de 1895 à 1905, il établit que le modèle princeps de l'action du traumatisme lié à une séduction est celui d’un modèle en deux temps : le trauma et l’après-coup (l'Esquisse et Études sur l'hystérie). En 1897, il dira : « je ne crois plus à ma neurotica ». Ainsi, c'est le fantasme et non plus la séduction qui devient le facteur traumatique princeps et qui préside à l'organisation psychique. Comme je l’ai déjà abordé dans nombre de mes cours Freud, de 1905 à 1920, retrace le développement sexuel infantile et élabore la métapsychologie. En termes de développement sexuel infantile et de théorie de la libido, les situations traumatiques paradigmatiques sont liées aux fantasmes et aux angoisses afférentes (angoisse de séduction, castration, scène primitive, complexe d'Œdipe). Le traumatisme est en rapport avec la force de la pulsion sexuelle et la lutte que leur livre le Moi ; tous les conflits et tous les traumatismes sont envisagés face à l’émergence des fantasmes et la réalité psychique interne. Il s’agit de la première topique avec les concepts de Conscient et d’Inconscient, la théorie de la libido et la dynamique pulsionnelle Éros/Thanatos**(2). Dans la première topique, comme cela est le cas pour de nombreux systèmes (contraction/expansion), la notion de dualisme pulsionnel entre Eros et Thanatos sous-tend le conflit entre deux régimes économiques, l'un visant à la décharge totale des énergies, l'autre cherchant à lier et à maintenir une stase énergétique. Ces mouvements de décharge et de liaison seront justement transformés par le travail du masochisme. Nous devons comprendre l’opposition entre Éros et Thanatos non pas comme un affrontement entre des pulsions mais comme un principe d’organisation/désorganisation régissant le système psychique comme cela est le cas dans le principe de réalité avec le couple plaisir/déplaisir.

À partir de 1920

Freud installe la deuxième topique avec le concept du Ça, du Moi et du Surmoi. Dans la dynamique pulsionnelle, il oppose la pulsion de vie (pulsion sexuelle et pulsion d’auto-conservation) et la pulsion de mort. Dans Au-delà du principe de plaisir, la pulsion de mort est postulée à partir de faits censés mettre en échec ce principe. Freud affirme que « le principe de plaisir semble être en fait au service de la pulsion de mort ». Pour Freud, le principe de plaisir signifie la réduction absolue des tensions, le principe de Nirvâna. Le principe de plaisir se distingue de la pulsion de mort et se confond avec le principe de constance : il représente les pulsions de vie dans leur tendance à l'homéostase et à la synthèse. C'est ainsi que la notion de pulsion de mort devient l’expression privilégiée du principe le plus radical du fonctionnement psychique, elle lie les désirs agressifs et/ou sexuels à la destruction. Pour Freud, la pulsion de mort va désigner à la fois la compulsion de répétition, le principe de Nirvâna, la réduction des tensions et la tendance à la destructivité. Beaucoup s’opposèrent à Freud, nous pensons qu’il n’est pas intéressant de s’enfermer dans « croire ou ne pas croire à la pulsion de mort », et qu’il est plus prometteur de comprendre aujourd’hui à la suite de Jean Laplanche, « pulsion de mourir ou de se faire mourir » comment fonctionne la pulsion de mort, comment elle s’articule avec la pulsion de vie (Eros) et en quoi sur un plan métapsychologique et clinique, elle intervient dans la compulsion de répétition, le narcissisme, la relation pulsionnelle à l’objet, le contre-transfert et le sadomasochisme. Nous soulignons l’importance de ne plus confondre dé-liaison et agression. L’effet de la dé-liaison est une dégradation qui transforme les fantasmes originaires de séduction, castration et de la scène primitive, en fantasmes de destruction et de meurtre. 
Chez les Kleiniens, les Reichiens et d’autres auteurs, la pulsion de mort est la représentation d’une pulsion agressive opposée à la pulsion libidinale. Dans ce texte, nous considérerons qu’Eros est la pulsion de vie et/ou la pulsion sexuelle. La pulsion de vie et la pulsion sexuelle se confondent, la pulsion d’auto-conservation fait partie de ce système pulsionnel. Le traumatisme devient un concept métaphorique et/ou symbolique des apories économiques de l'appareil psychique. En s’appuyant sur les modèles physiques du jeu antagoniste expansion/contraction dans l’Univers, nous pensons que le couple Eros/Thanatos ou pulsions de vie/pulsion de mort exige un équilibre dynamique pour éviter la fusion mortifère d’un coté (contraction) et le chaos de l’autre (expansion). Pour nous, à l’instar de Descartes qui a fondé une partie de la philosophie occidentale sur la séparation corps/esprit, le perse Mani (le manichéisme) sur le Bien (Dieu) et le Mal (Les démons), Pythagore ou la philosophie chinoise (Yin/Yang), le dualisme est le résultat de deux catégories symbiotiques et complémentaires, tout est composé de contraires : un et multiple, limité et illimité, impair et pair, masculin et féminin, repos et mouvement, lumière et obscurité, bien et mal... Cette hypothèse concernant le dualisme pulsionnel a permis à de nombreux courants analytiques de distinguer deux séries de pulsions qui tendent toutes les deux vers la mort : Thanatos (pulsion de mort) tendant vers la mort dans le déplaisir en poussant le sujet vers la décompensation et la régression et Eros (pulsion sexuelle) qui tend vers la mort chaotique mais en la différant au profit de la continuité du Vivre (non du Survivre) et du plaisir. Pour de nombreux biologistes, la pulsion sexuelle assure la reconduction de la vie par la fusion de deux cellules germinales différenciées. Ainsi à force de différer, de remettre la mort à plus tard, elle tend vers l'immortalité, comme le pervers qui transgresse la loi et lutte contre la temporalité et la mort dans la recherche d’une forme d’immortalité. 

L'Hilflosigkeit, la détresse du nourrisson qui mène à l’angoisse d’abandon et de mort, devient le paradigme de l'angoisse. Lorsque l'angoisse déborde le Moi et ne lui permet plus de se protéger -qu’elle soit d'origine endogène ou exogène-, les fantasmes, les mécanismes de défense du Moi et l’utilisation des mécanismes sadomasochiques vont se mettre en place. Dans « Inhibition, symptôme et angoisse », Freud (1926) met l'accent sur le lien entre le traumatisme et la perte d'objet. En introduisant sa deuxième topique, Freud nous amène à envisager un lien qui lie le masochisme à la pulsion de mort (ou à Thanatos si nous nous référons à la première topique). Il existe dans les masochismes secondaires, un type de masochisme qui est le résultat du retournement de la pulsion sadique sur soi-même. Le masochisme féminin n’est que la traduction d’un fantasme masculin de la femme objet et jouissant de l'être, ce qui constitue une solution imaginaire facile à la question de l'Autre jouissance, soit la jouissance féminine. La réflexion s’instaure sur les liens entre le concept de pulsion de mort et le masochisme. L'évolution la plus manifeste dans cette deuxième topique sera le renversement complet des rapports du masochisme au sadisme : de secondaire au sadisme, le masochisme deviendra originaire, Freud l’assimilera même à la pulsion de mort. Nos cas cliniques nous montrent que la pulsion utilise le masochisme ou l’inverse, mais qu’il ne faut pas confondre pulsion de mort et masochisme.

Nous allons aborder les différents types de masochismes :

Le masochisme féminin n’est abordé que dans le texte du « Tabou de la virginité ». Freud montre que la culpabilité des hommes et des femmes n’est pas forcément la même. Pour les hommes, elle est liée au désir de mort éprouvé à l’égard du père. Pour les femmes, leur désir est plus spécifique et aussi plus focalisé : il est désir de castrer le père, soit par simple dépit amoureux, par déception, soit parce que le père, comme c’est le cas dans la névrose, est maintenu comme un objet rival dans la conquête de l’amour de la mère. Dans nos cas cliniques, nous trouvons de nombreux fantasmes et pratiques masochistes qui se sont développés chez des femmes ou des hommes qui se placent dans une position féminine au sein de laquelle se rejoue un simulacre de castration et de coït (réel ou symbolisé) subi. Freud nous dit : « Le caractère dangereux (du masochisme) provient du fait qu’il a son origine dans la pulsion de mort, qui correspond à la partie de celle-ci qui a évité d’être tournée vers l’extérieur sous forme de destruction ». Nos cas cliniques et les théories contemporaines nous amènent à formuler ainsi la dangerosité du masochisme : la pulsion de mort va infiltrer le masochisme et le rendre destructeur pour le patient quand en effet, une partie de ce masochisme n’a pu se tourner vers l’extérieur et se retourne donc contre le sujet lui-même dans un contexte régressif. Au cours d’une thérapie et plus particulièrement dans les groupes de thérapies, nous avons pu remarquer que pour sortir de leur position féminine passive et masochiste, les hommes doivent reconnaître l’amour pour le père puis dans un deuxième temps la haine inaugurale qu’ils éprouvent à son égard avec ce qui en est sa cause, l’amour pour le premier objet d’attachement : la mère. Pour sortir de leur position masochiste, les femmes doivent reconnaître l’amour pour le père puis dans un deuxième temps, les désirs de vengeance à son égard, le désir de le castrer en rétorsion de ce qu’il est sensé leur avoir fait subir. Elles retrouvent alors la mère, non pas comme objet d’amour, mais comme objet de haine. Selon Freud, c’est elle qui est à l’origine responsable de leur absence de pénis, du fait qu’elles ont été faites filles. Nous voyons aussi qu’il faut lutter contre le « ne pas vouloir vivre » présent dans les deux sexes, non en raison de la pulsion destructrice, « mais de la propension de l'objet à ne pas survivre » (What about waste-disposal ? Winnicott, 1975). À la question sur l’origine de la souffrance, W. Reich répond : « La souffrance a son origine dans la volonté biologique de souffrir, dans la pulsion de mort et dans le besoin de châtiment ». (L’Analyse Caractérielle, éd. Payot).

Le masochisme originaire (nommé aussi érogène primaire) nous amène à considérer le caractère fondamental du masochisme et à retourner aux sources des pulsions (Eros et Thanatos) et du Moi. Le masochisme primaire serait essentiel à l'établissement du Moi. Qu’est-ce que le masochisme érogène ? Il existe une excitation libidinale et dans « Trois essais » Freud rappelle que rien n’advient dans ce domaine, sans la pulsion sexuelle et surtout sans avoir à fournir un but à l’excitation sexuelle. Le masochisme secondaire est souvent dû, dans un contexte régressif, à une pulsion sadique de destruction tournée vers l’extérieur, projetée, puis introjectée, et se tournant vers l’intérieur. Le masochisme secondaire est aussi utilisé comme système défensif tel qu'on le retrouve cliniquement sous différentes configurations névrotiques et/ou perverses. La clinique de l’excitation sexuelle montre que cette dernière peut dans certaines configurations entraîner du déplaisir, le sadisme ou le masochisme permet de décharger la charge accumulée par le déplaisir et qui bloquait la décharge (l’orgasme). Freud, sans que les deux concepts ne s’opposent, parle d’un sadisme qui doit-être en dernière instance, un masochisme vécu à travers le sadisme, ce qui induirait l’existence d’un sadisme qui ne serait que secondaire. Dans notre clinique, le sadisme est reconnu depuis longtemps comme une composante qui infiltre la pulsion sexuelle. Le sadisme pourrait aussi être une manifestation de la pulsion de mort. Non pas dans le fait que son but soit de « faire souffrir » l'objet, mais dans celui d’éloigner la pulsion de mort à travers l’objet ou la relation à l’objet. Le masochisme mortifère nous apparaît de façon évidente chez des patients qui présentent des noyaux psychotiques et qui investissent tous les territoires de déplaisirs en investissant l’excitation sans lui permettre la décharge. En clinique, nous retrouvons ses tendances dans les failles psychotiques (anorexique, boulimique, schizoïde, toxicomane, kleptomane, automutilations etc.…). Ainsi le masochisme mortifère se définit en dernière instance par l’abandon progressif de l’objet. Le masochisme mortifère s’initialise parfois, dans un moment régressif, quand se met en place une introjection massive du sadisme.
Grâce au masochisme érogène originaire, la douleur originaire permet au Moi de se construire. Jean Laplanche insiste sur l'effraction du fantasme comme première douleur psychique et Rosenberg parle de son côté d’un « masochisme gardien de la vie » qui permet la résolution de certains accès mélancoliques. Le masochisme maintient une stase énergétique qui permet d’alimenter le système pulsionnel. Nécessaire à la constitution de l'appareil psychique, obstacle à une déstructuration incessante, il signe une première activité du Moi de liaison en réponse à la passivité primaire devant l'émergence pulsionnelle. Rosenberg pense que certaines décompensations psychotiques se mettent en place à la suite d’un dysfonctionnement du masochisme érogène primaire, risquant alors de laisser se mettre en place un masochisme mortifère. Le masochisme érogène va alors être utilisé comme tentative de « guérison » à travers la sexualité et/ou les symptômes psychosomatiques et/ou le masochisme moral. Nous comprendrons donc aussi l’importance de l’objet dans son rôle séducteur, traumatique, antihoméostatique ainsi que son rôle liant et/ou contenant. Au regard des nos cas cliniques, nous comprenons que le masochisme n’est pas uniquement lié à la pulsion de mort. Sadisme et masochisme sont, en fonction des traumas et des fixations, au service de la pulsion de vie et/ou de la pulsion de mort. Paul Denis émet une hypothèse complémentaire : la pulsion naît de « l’intrication » entre deux courants libidinaux, l’un de satisfaction et l’autre d’emprise. Si on regarde l’objet d’amour, nous retrouvons dans le lien, le dualisme qui rappelle celui d’Eros/Thanatos et qui semble même en être le reflet : amour/violence (beaucoup dirait « amour/haine » mais nous laisserons la haine à l’expression de la violence orale, qu’elle s’exprime sur un mode sadique ou masochique). 

Le sadique est l’enfant du père pervers ou de la mère phallique-narcissique élevé au-dessus de la loi et de l’alliance incestueuse dans la phase oedipienne du père et de la fille ou du fils et de la mère phallique narcissique. Le masochique est l’enfant de la mère perverse orale. L’alliance est archaïquement incestueuse rarement dans la phase oedipienne, mais toujours porteuse de mort. Chez le sadique, dont la psychologie est plutôt à orientation androgyne (se cherchant entre les deux sexes) il y a idéalisation du Père et négation de la mère ; chez le masochique, dont la psychologie est plutôt à orientation hermaphrodite (étant les deux sexes) à forte composante narcissique, il y a dénégation de la mère et destruction du père. Ainsi, contrairement à Freud, Deleuze associe le sadisme à un Surmoi trop fort ou à un idéal du Moi (maniaque) propre à l’identification et le masochisme à un Moi plus fort ou à un Moi idéal (mélancolique) propre à l’idéalisation. Toujours pour Deleuze : « Le sadique est un pseudo-masochiste et le masochiste est un pseudo-sadique ; mais les deux pervers vont et viennent de la désexualisation (du sexe) à la resexualisation (de la pensée) ». Le sadisme et le masochisme sont soumis tous deux aux pulsions de vie et de mort. « Sade cultive l’accélération, la précipitation, la réitération et la mécanique de l’accumulation obscène ; le suspens esthétique, érotique et dramatique ; Masoch est en quête de relations ou de contrats, de lois, d’alliance ou de pacte. Il est tributaire de l’obséquiosité, du figement, de la scène de théâtre érotique, du coït interrompu. Philosophiquement et politiquement, Sade est un matérialiste et un anarchiste et il prône l’antityrannie jusque que dans son opposition fondamentale à la peine de mort ; c’est un athée inconditionnel et un ennemi de Dieu. Masoch est un suprasensualiste, qui s’identifie à Caïn, le fils préféré d’Eve, et en appelle à une nouvelle christologie dont il serait le martyr. Sade naturalise le conflit ; Masoch culturalise le contrat. » (Le froid et le cruel de Deuleuze)

S’il nous est facile de comprendre l’organisation sadomasochique sous le primat du pré-génital, puis éventuellement du sexuel dans sa composante orale, anale et oedipienne, on peut s’interroger sur comment, pourquoi et quand la douleur s’introduit dans les pulsions. Lacan y répondra : « ( …) la possibilité de la douleur subie par ce qui est devenu, à ce moment-là, le sujet de la pulsion. C'est, au moment où la boucle s'est refermée, où c'est d'un pôle à l'autre qu'il y a réversion, où l'autre est entré en jeu, où le sujet s'est pris pour terme, terminus de la pulsion. A ce moment-là, la douleur entre en jeu en tant que le sujet l'éprouve de l'autre. [...] Ce dont il s'agit dans la pulsion se révèle ici : le chemin de la pulsion est la seule forme de transgression qui soit permise au sujet par rapport au principe du plaisir». La possibilité de la douleur subie ne s'introduit que lorsque le sujet s'est pris pour terme de la pulsion ; il éprouve la douleur à partir de l'autre, mais dans un temps second. L'ascète se flagelle toujours pour un tiers à des fins de maîtrise. La frappe du signifiant-maître est donc recherchée dans le réel, mais pour un tiers supposé présent dans l'opération. La douleur vient soutenir cette présence. Dans le séminaire sur l'Angoisse, Lacan souligne que le masochiste cherche à provoquer l'angoisse de l'Autre. Cette idée-là est généralement connue. N’oublions pas que la provocation est un appel au signifiant-maître. 
Nous avons beaucoup parlé de pulsion. La pulsion est-elle première ou est-elle la réponse à un besoin ? Dans le premier cas, il faut considérer une accumulation énergétique, suivie de décharges énergétiques. La satisfaction des besoins comme se nourrir, dormir… n’aurait comme fonction que d’assurer uniquement les énergies nécessaires pour la production de la pulsion. L’instinct serait alors le comportement répondant à cette finalité. Cependant, il nous faut remarquer qu’il s’agit d’un comportement hérité. Dans le second cas, la pulsion serait la réponse énergétique à un désir, lui permettant sa réalisation. Nous voyons bien la différence qu’il y a entre le besoin de manger (instinct) et le choix de l’aliment (désir). Ainsi nous pouvons schématiser deux séries d’actions : Instinct – Pulsion – Action – Pulsion (manger afin de maintenir la pulsion nécessaire) et Désir – Pulsion – Action (réalisation du désir).

D’après mes conclusions, le masochisme, dans sa forme orale est une forme non érogène de la destructivité issue de la pulsion de mort, alors que dans sa forme post-orale, l’érotisation et la sexualisation rendent cette destructivité issue de la pulsion de mort moins destructrice et moins déstructurante et, dans certaines conditions, limitent sa dangerosité. Pour Rosenberg, le masochisme a une fonction de « gardien de la vie psychique ». Dans cette logique, le Moi repose sur un masochisme qui résulte de la nécessité de conserver une certaine accumulation énergétique et sexuelle, une charge.
Si par leur fonction, le sadisme et le masochisme peuvent être conçus comme une entité métapsychologique, leur point commun étant l’utilisation de la douleur et de la souffrance, par contre leurs voies pour se réaliser en fonction des fixations prégénitales puis génitale sont asymétriques : 

  • Fixations aux fantasmes maternelles : le déni de fécondation, l'enfant sera autiste ; des fantasmes de parthénogenèse : l'objet de mon désir c'est moi, l'enfant sera délirant ; l’absence de fonction phallique, l'enfant présentera un psychose fusionnelle symbiotique ; quelque chose fait appel à un objet qui n'est pas porté par le père, l'enfant sera pervers ; l’objet phallique, le père l'a pour la mère, l'enfant sera névrosé.
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  • Dans l’oralité, les fixations avant huit mois transforment une relation qui était normalement symbiotique en pathologiquement fusionnelle, en général sur un objet partiel (une partie de l’autre : le sein par exemple). Après huit mois la relation devient anaclitique. Pour Klein, le terme « anaclitique » indique que la relation affective entretenue avec les autres, de symbiotique (relatif à un soutien mutuel) devient anaclitique (conscience de ce soutien, le besoin de l’autre apparaît avec le risque de la non-réponse). La relation porte sur un objet total. Ainsi dans la phase archaïque orale : possession/dépossession, vampirisation et cannibalisme, manques et carences entraînant conduites compulsives de remplissage, une rage orale destructrice tournée vers soi dans le masochisme (auto-mutilation, auto-dévoration, auto-destruction) et tournée vers l’objet dans le sadisme. Dans l’oralité et l’analité archaïque, le lien à l’objet est essentiellement d’attachement, il lie le sujet à l’objet dans une relation de dépendance à la recherche d’un amour jamais obtenu (la quête orale insatisfaite). Le masochisme comme le sadisme réunissent dans leur forme orale le désir à la haine. La haine destructrice appartient principalement au registre de l’oralité, elle devient colère dans le registre de l’analité archaïque, contrôle dans le registre de l’analité post-archaïque, l’aspect triangulé apparaît avec la phase oedipienne.
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  • Le stade anal qui s’étend de 1 à 3 ans est le stade de la relation ambivalente (Oui/Non, Amour/Haine, Donner/refuser …) avec l’objet total (l’autre) ou des objets partiels (caca, pipi etc.…), ainsi dans la phase archaïque anale (stade 1) : le sadisme et le masochisme utilisent l’humiliation, le mépris (s’humilier ou se faire humilier, se mépriser – souvent au travers de la symbolique excrémentielle ou se faire mépriser dans le masochisme moral), la soumission. La rage diminue, elle est remplacée par une émotion plus proche de la colère, la violence s’exprime de façon plus contrôlée et moins destructrice.
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  • La phase post-archaïque anale (stade 2) : à ce stade la violence est complètement contrôlée. Plus spécifiquement, le masochisme dans sa forme post-archaïque réunit la douleur et le désir ; le sadisme réunit quant à lui le plaisir à la douleur. Dans la phase post-archaïque, le lien est d’emprise : il amène le sujet à vouloir contrôler l’objet et maîtriser l’environnement à la recherche de satisfaction. Puis après 3 ans, la relation devient triangulaire, passant par un stade dit phallique (investissement de l’objet partiel pénis ou clitoris), début des pulsions agressives et sexuelles envers le père et/ou la mère, pour passer ensuite au stade oedipien (avec l’émergence de toute la triangulation : exhibitionnisme, voyeurisme, toutes les situations triangulées etc.… Les relations objectales, la réalisation hallucinatoire du désir, l'ambivalence des sentiments, le développement libidinal et ses phases : orale, anale, phallique et génitale, les identifications et la construction du Moi, de l'idéal du Moi et du Surmoi inscrivent l’individu dans la triangulation.

Avant d’aller plus loin, nous allons exposer deux cas cliniques intéressants qui abordent le clivage de l’objet et l’ambivalence des sentiments. Le clivage de l'objet, mécanisme archaïque, est une notion introduite par Mélanie Klein qui suppose comme premier objet d'amour, le sein, objet partiel que l'enfant assimile symboliquement à la fois à sa mère et à son environnement. Le sein est clivé en bon objet et mauvais objet, en fonction qu’il est soit gratifiant, soit frustrant. Le clivage est une des défenses primitives contre l'angoisse, essentiellement dans les positions schizoparanoïdes, mais aussi dépressives, visant alors l'objet total. L'objet, cible de la pulsion, est schizé en deux parties : une bonne et une mauvaise. Dans deux de nos cas cliniques les deux patientes sont dans une position de grande souffrance liée à un masochisme morale mortifère allant jusqu’à des conduites directes ou indirectes, faisant ou non intervenir un tiers, qui amènent à un masochisme psychologique (mise en place de conduites amenant soit à payer, soit à être discréditée, humiliée…..) et somatique (douleurs, somatisations….nous avons vu apparaître une mycose fulgurante chez une patiente qui avait eu un orgasme en se masturbant par caresses clitoridiennes).Chez une de nos patientes, la dialectique familiale a permis la mise en place d’une empreinte à partir de la situation : « Moi la mère (ou la figure représentant la mère) je suis bonne et toi (la fille) tu es méchante, mauvaise ». Pour cette petite fille devenue grande, il est impossible d’accepter que sa mère (l’autre) puisse être mauvaise. Dans sa relation pulsionnelle aux autres, sur laquelle elle a transféré tout ou partie de l’image de la mère, elle se met en position d’être le mauvais objet face à cet autre qui est illusoirement bon. Soit l’objet qui n’est qu’illusion d’être bon, deviendra de fait un jour mauvais, déclenchant ainsi ou son sadisme, ou encore plus de masochisme et de soumission, elle préservera ainsi l’objet. Soit pour qu’il reste illusoirement bon, elle triangule, trouvant un support qui deviendra pour elle le mauvais objet. Nous retrouvons toujours dans le masochisme la notion de culpabilité et de dette, donc de dette à régler. Cette patiente, en permanence, choisit des partenaires envers qui elle règle sa dette, se soumettant à leur sadisme et souvent en payant de sa propre personne sur le plan physique et/ou psychologique (dans le cas présent elle entretient son partenaire sur le plan financier). L’autre patiente a comme croyance éducative : « c’est de ma faute si ma mère (l’autre) est mauvaise ou si elle m’en veut car je ne fais pas ce qu’il faut ou ce qu’elle attend de moi ». La culpabilité et la dette se mettent alors en place. Elle rachète sa dette et pense reprendre sa liberté (pour « me sentir libre » dit-elle) en se soumettant au pouvoir de l’autre qu’elle considère comme bon et qu’elle idéalise, le mettant ainsi en position de contrôler totalement son libre arbitre. Consciente de la nécessité pour elle de passer d’un masochisme mortifère à un masochisme sexualisé dans lequel elle s’y retrouve mieux elle nous dit : « je souffre parce que je lutte contre mon masochisme et à force de lutter contre, je vais en plein dedans et c’est pire ». 
Le masochisme moral est celui qui est le plus souvent nécessaire aux névrotiques, il réside dans l’une des caractéristiques du Moi à désirer la soumission. Il faut différencier le masochisme de la culpabilité, cette dernière soumet le Moi aux exigences et au sadisme du Surmoi. Dans la clinique, nous pouvons voir que le masochisme engendrait un acte (un passage à l’acte) qui va provoquer la punition endogène ou exogène, punition qui sera érotisée. Freud, dans le problème économique du masochisme, aborde le masochisme comme gardien de la névrose. L’existence du masochisme prouve qu’il y a une faille dans la névrose avec risque de décompensation, l’émergence de plus en plus forte des désirs œdipiens n’étant plus contenue par les différentes structures névrotiques (hystériques, obsessionnelles et/ou phobiques). Pour simplifier à l'extrême les mécanismes de défense névrotique, on peut dire qu’à chaque fois qu'émerge un désir, celui-ci est tellement violemment œdipien qu'il est aussitôt réprimé et remplacé par un symptôme permettant de mettre en scène ce désir autrement. Dans la névrose, c’est l’image du père qui sert de support, dans la perversion, l’image phallique. 
L'hystérique,
par le déni, s'accorde à imaginer que là où il y avait un phallus, il n'y en a plus. Il (ou elle) s'assure donc la castration imaginaire de l'autre et devient ainsi le phallus imaginaire pour l'Autre qui en a le manque. L'hystérique (dans la névrose, que ce soit la femme par rapport à l’image du père ou l’homme par rapport à l’image de la mère) par son comportement, suscite l'envie de l'homme, en devenant ainsi Femme pour le phallus réel. Refusant alors de donner SA jouissance, elle rend réelle l'impuissance de l'homme à la faire jouir. Elle a ainsi la preuve qu'elle a CE par quoi ils échouent. Celui qui copule avec l'hystérique le fait en remplacement symbolique du père qui serait, si un tel père existait, le seul à savoir la faire jouir. Le manque et la problématique œdipienne entraînent un "NE PAS VOULOIR" plus qu'un "NE PAS POUVOIR". L’hystérique ne veut pas avoir d’orgasme. 
L'obsessionnel n'a pas du tout les mêmes problèmes que l'hystérique qui cherche « un parent » pour la faire jouir. Son problème se trouve plutôt dans « que mettre en place pour ne pas être dans l’obligation de faire jouir ce parent qui ne jouit pas avec l’autre parent ». L’obsessionnel ne veut pas se retrouver dans l’obligation de faire jouir l’autre. L'obsessionnel cherche à satisfaire ses pulsions sexuelles, mais il doit masquer son sadisme. Il lutte contre son agressivité sexuelle en utilisant des scrupules obsédants, des manies mentales, des phobies.
Le phobique, aux prises avec ses désirs œdipiens, les projette à l'extérieur. Il a des craintes ou des répulsions angoissantes liées à une personne, un objet ou une situation. Son angoisse peut se définir comme une crainte sans objet. La peur de mourir ou d’être castré est omniprésente. Le phobique est un impuissant qui tente de se référer à un parent qui serait idéal. Le phobique se débrouille pour ne pas faire l’amour. 
« Dans le travail thérapeutique, si la douleur d’un évènement traumatique peut emmener le patient à trouver refuge dans le masochisme et/ou la coupure avec son corps émotionnel et rejoindre ainsi cette partie de lui que j’appelle « l’immortelle », il aura une sensation d’invulnérabilité, d’immortalité, dans un espace dépourvu de peur, un lieu de pouvoir et de toute-puissance. Quand on veut ramener le patient dans son corps, deux cas de figures peuvent se poser. Le premier, l’émotion des traces laissée par l’évènement traumatique est telle qu’il ne voit qu’elle. Le deuxième, il porte toute son attention sur l’extérieur qui a provoqué cette émotion et il ne perçoit que cela. Dans les deux cas, cette phase est extrêmement dangereuse, créant la compulsion de répétition. La coupure et/ou le masochisme est utilisée comme moyen défensif à la position plus confortable de celui qui regarde » (Ghislaine Duboc). 
« Dans la cure analytique, quand il y a transfert de culpabilité ou transfert masochiste, en même temps que la projection classique du Surmoi sur le thérapeute, il apparaît dans la relation transférentielle du masochiste, une tentative à l’érotisation du transfert dans une relation triangulée avec risque de déclencher des contre-transferts (érotiques, sadiques, complices et/ou cautionnants) qui signeraient une tendance au passage à l’acte». (Marine Dietrich) 

Pour continuer sur le thème du masochisme gardien de vie

Racamier parle d’une défense paranoïaque par rapport à un développement du masochisme mortifère sous-jacent, à l’aide d’un masochisme secondaire que le paranoïaque prend bien soin de maintenir objectal, donc accroché à l’objet et ainsi gardien de la vie. Ils se défendent ainsi d’une décompensation schizophrénique ou dépressive-mélancolique. La persécution paranoïaque, dans nos cas cliniques, est une gratification de type narcissique mégalomaniaque (n’importe qui n’est pas persécuté) mais a aussi un bénéfice secondaire dans la jouissance de la victimisation par rapport à l’objet rendu sadique par le délire de persécution. Dans un deuxième temps, cela permet au paranoïaque de devenir sadique dans ses relations sociales, en mettant en jeu sa toute-puissance et ses pulsions d’emprise et de destruction, ainsi que la sexualisation de ses relations. Pour les thérapeutes, le fait de ressentir du sadisme dans leur contre-transfert est un signe d’alerte d’un déni de la liberté d’analyser que leur oppose le paranoïaque. Ainsi le sadisme apparaît bien comme une défense contre le masochisme mortifère qui s’installe faute d’avoir pu accéder à une gestion érotisée et/ou sexualisée du masochisme primaire érogène. 

Dans le travail sur la mélancolie, les sujets désirent peut-être, avant tout, éviter « la mort ou le suicide » mélancolique. Bela Grunberger explique que le suicide du mélancolique se produit quand se met en place un désinvestissement narcissique du Moi, ce qui conduit à évoquer le travail de deuil et de mélancolie. « Même si nous pouvons admettre une conception du travail de mélancolie, elle ne peut pas nous rendre compte du point pour lequel nous étions partis en quête d’une explication. Nous espérions pouvoir faire dériver la condition économique pour que survienne la manie, une fois terminé le cours de la mélancolie… » (Freud). Le travail de mélancolie se fait avec une partie d’un Ça plein de fantômes mnésiques et où les mots sont peu investis, que ce soit dans le manque mélancolique ou dans le mode de vie au « plus que présent » du maniaque. « La création (le génie mélancolique) se tient bien là dans l'art d'accommoder les restes et dans la farouche obstination à ne pas se satisfaire de la morosité journalière. La mélancolie touche alors à la frontière entre excès et détachement» (Marine Dietrich). La création puisant sa source dans la souffrance et la douleur, permet au mélancolique de façon plus sublimée que l’accès maniaque, de quitter l’état d’inhibition lié à une perte d’investissement du Moi. La différence entre le travail de deuil et celui de la mélancolie réside dans le fait que dans le deuil le monde extérieur est devenu vide de sens alors que dans la mélancolie c’est le mélancolique lui-même qui est vide de sens et s’inscrit dans une dialectique hors de l’humain. Comme le fait remarquer Ado Huygens : « Le dépressif est en manque d'avoir pour être et le mélancolique en manque d'être pour avoir ». Le travail de deuil consiste donc à se détacher de l’objet perdu et à réinvestir un autre objet. Pour le mélancolique, ce travail sera d’autant plus difficile, au regard de ce que nous venons de voir, qu’il investit l’objet sur la base d’un choix narcissique. D’après Freud, dans « Introduction au Narcissisme », ce choix devient pratiquement la prédisposition à la mélancolie. En investissant narcissiquement un objet, le mélancolique s’investit lui-même dans le miroir et va donc vivre la perte de l’objet comme une perte de soi. Ainsi dans le travail de deuil, la libido va chercher à investir un autre objet et la personne en deuil se laissera décider par la somme des satisfactions narcissiques et libidinales, à investir un autre objet et à rester en vie. Chez un de nos patients, qui présentait une tendance à la perversion, nous avions noté des phases hystériques auxquelles succédaient parfois des phases mélancoliques. Nous avons compris avec l’un de ces cas, que certains pervers choisissent leur objet d’amour non pas sur le modèle parental, mais sur leur propre modèle, donc dans un choix narcissique. Le travail de mélancolie se comprend donc quand on est en présence de certaines structures perverses dans lesquelles, à tort, nous voudrions privilégier un travail de deuil à un travail de mélancolie. Dans la conception freudienne, le travail de mélancolie montre que la tendance mélancolique, avec ou sans dédoublement de la personnalité, attaque lui-même, son double, ou encore l’objet sur lequel il a pu projeter son narcissisme. En effet, pour accepter d’abandonner l’objet, qui in fine n’est autre que lui-même, il faut qu’il soit sans valeur, dévalorisé, méprisé, « frappé à mort » comme dit Freud. Nous voyons donc dans cette configuration, la violence que peut atteindre le masochisme chez le mélancolique. Il va donc tout mettre en œuvre pour que le masochisme obtienne le sadisme dont il a besoin. Le travail avec le mélancolique pourrait donc se situer dans une dialectique de l’au-delà des mots ; la stratégie thérapeutique de type analytique est là pour l’aider à respecter son Moi, plus que son Moi, son être, son essence même. Le masochisme n’aurait donc plus comme fonction que d’assurer la charge énergétique nécessaire dont il aurait besoin. En effet, le travail thérapeutique ne peut pas se résumer au deuil d’un objet qui est soi-même. Le travail thérapeutique se met vraiment en place quand le transfert négatif apparaît, c’est donc à ce moment-là, que le sadisme pourra émerger, il ne restera plus qu’à trouver les objets originaires sur lesquels il se dirigeait. Dans le travail avec les psychotiques et les mélancoliques, le thérapeute (l’Autre) peut se sentir vampirisé ou absorbé, attiré vers la béance, la blessure étant telle qu’elle attire en elle tous les investissements disponibles. Ainsi nous retiendrons ce double niveau de travail nécessaire : celui de la problématique objectale (la perte de l’objet) et de la problématique narcissique (l’investissement narcissique de l’objet). Nous avons remarqué, car cela est récurrent dans l’ensemble des cas cliniques où le masochisme a assuré une fonction de survie face à la dépression ou à la mélancolie, que la douleur est la sensation et l’affect les plus spécifiquement liés à la perte ; elle rend compte de la réalité d’une perte de l’objet. Il existe une symétrie entre le sadisme et le masochisme dans sa fonction protectrice de la vie psychique, dans sa fonction contre-investissante et dans son but (la jouissance sexuelle). Cette fonction est lisible au niveau du corps (le couple sensation/motricité) et au niveau des objets (le couple projections narcissiques/identifications mutuelles).

En conclusion, nous pourrions poser une hypothèse de travail théorique et clinique. L’organisation psychique reposerait sur deux mouvements : le premier de contraction, irait vers l’origine, vers la mélancolie ; l’autre d’expansion irait vers la perversion, tout deux allant inexorablement vers la mort. Les diverses fixations et surtout les différentes structures seraient donc plus à comprendre comme étant des mécanismes défensifs (défenses du Moi, hystérie, obsession, phobies, paranoïdes, schizoïdes etc…) empêchant les tendances régressives et/ou décompensives. Les défenses névrotiques (hystérie, obsession et phobies) sont les plus rigidifiantes. 

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Notes:

* (1) La douleur physique et/ou psychologique est la sensation ressentie d’une façon plus ou moins désagréable et/ou supportable par un organisme dont le système nerveux détecte un stimulus nociceptif. « La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite en des termes évoquant une telle lésion. » (International Association for the Study of Pain). La douleur morale est en réalité une souffrance d'ordre affective et/ou émotionnelle. « Ainsi la douleur correspond à la composante cognitive du processus de nociception tandis que la souffrance correspond à la composante affective et/ou émotionnelle. Cette souffrance pouvant être le résultat de douleurs physiques exogènes ou endogènes ou de douleurs psychologiques en lien avec des émotions négatives ou des idéations dépressives, ….. » (Marine Dietrich).

** (2) Eros est le dieu du désir sexuel, qui rapproche les êtres, les pousse à la vie et à l’amour passionnel et pulsionnel. Il est considéré comme un dieu créateur, il est l'un des éléments primordiaux du monde, le premier dieu, né directement du Chaos primitif, de l'œuf primordial. Sans lui aucun des autres dieux ne seraient né. Thanatos est le dieu de la mort, son frère jumeau Hypnos est la personnification du sommeil. Ils étaient les fils de Nyx (Nuit) et d'Erèbe. Il y a très peu de mythes où Thanatos apparaît, ennemi implacable du genre humain, odieux même aux Immortels, il a fixé son séjour dans le Tartare devant la porte des Enfers, selon certains poètes. On retrouve Thanatos et Eros en psychanalyse, Sigmund Freud nommant « Éros » la pulsion de vie qui, selon lui, habite chaque être humain et l'oppose à la pulsion de mort, « Thanatos ».


Docteur Erick Dietrich - Paris, France - Voir ma page Psycho-Ressources

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