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La Tour de Babel
Par Michèle-Rose Wainhouse, Psychopédagogue, Écrivain, 
Site Web: http://michelerosewainhouse.com 

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La Tour de Babel

Depuis l’explosion du Big Bang, commencement supposé de l’univers, les étoiles semblent s’éloigner les unes des autres pour se perdre dans d’insondables trous noirs. Ne sachant pas s’aimer, les humains, fragments d’esprit explosé, s’éloignent aussi les uns des autres et se perdent au fond de leur désespoir. Ils semblent être des corps, mais chacun est la matérialisation d’une pensée de peur sous une forme particulière dont le nom est écrit sur son sac à dos. Dans le sac, qui est très lourd, ils portent péniblement leur passé et toutes les choses auxquelles ils tiennent. Ils sont pressés d’avancer, pourtant ils font du sur-place car ils ne veulent pas savoir où ils vont. Ils se sentent seuls, incompris, rejetés peut-être, mais dans leurs bons droits et sûrs d’eux-mêmes. Car ils se croient autonomes, libres, chacun pour soi. Sont-ils maîtres de leur destinée ? 

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Ils attribuent à la charge qu’ils transportent, et à laquelle ils ajoutent sans cesse en cours de route, la seule valeur qu’ils s’octroient mais, paradoxalement, plus ils ajoutent de poids plus ils en sont tributaires et moins ils sont libres. Certes, ils font grand cas de leur liberté de choix, mais ils ne choisissent qu’entre les conditionnements auxquels ils sont soumis. Le semblant de sécurité que leur procure leur chargement les oblige à l’entretenir, mais la tyrannie de leurs possessions fait qu’ils y sont totalement asservis. Puis ils se plaignent du stress et font des dépressions ; certains mettent fin à leur souffrance consciemment, d’autres le font inconsciemment. De leur fin ils semblent maîtres : leur destin est-il donc de mourir ?

Au fond d’eux-mêmes où ils le cachent les hommes sont malheureux. Certains recherchent l’amour, espérant un baume à leur souffrance mais s’en détournent lorsqu’ils le rencontrent, soit parce qu’ils ne l’ont pas reconnu, soit parce que leur peur augmente d’avoir à déposer le sac qu’ils portent pour l’accueillir. D’autres se tournent vers son inverse, la haine, justifiant sa violence par leur colère à se sentir privé de ce qui, pensent-ils, doit leur revenir de droit. Mais tous espèrent, d’une façon ou d’une autre, l’expérience exaltante qui leur permettra d’échapper à la futilité de leur existence et à la désertification intérieure qu’ils éprouvent. Mais comment peuvent-il reconnaître ce qu’ils attendent, vu qu’ils ont limité leur idée de l’amour à des formes personnelles et particulières et le confondent avec ses substituts ? Ainsi passent-ils à côté de sa véritable signification. 

Sait-on seulement ce que signifie l’amour ? Pour tenter d’y répondre, la réflexion s’impose : « La compréhension n'est autre que l'appréciation, parce que tu peux t'identifier à ce que tu comprends et, en en faisant une partie de toi, tu l'acceptes avec amour. C'est comme cela que Dieu Lui-Même te créa : dans la compréhension, dans l'appréciation et dans l'amour » (1) . Autrement dit l’amour s’éprouve en s’identifiant à ce qui est apprécié – mais la compréhension est d’abord nécessaire. C’est pourquoi, avant de s’apprécier et de s’aimer, les hommes doivent commencer par se comprendre. Et, pour se comprendre, chacun doit admettre que sa compréhension repose sur une décision de son esprit et non sur une interprétation impulsive basée sur ses émotions. Pour comprendre quoi que ce soit, un sens doit lui être donné ; or, lorsqu’une chose quelconque a du sens, c’est que sa cause est intelligible ; elle peut alors être reconnue et nommée. Mais ce processus réflectif de la pensée dépend d’une décision que seul l’esprit de celui qui se veut « passant » peut prendre.

Car ici, au cours de sa traversée, le passant devra apprendre à surmonter ce vieux cliché galvaudé et fatigué qui réduit l’amour à son expression physique et fait que les images constamment dupliquées du corps sexué lui tiennent lieu de modèle. L’amour perd son sens dès qu’il est confondu avec le plaisir que procure le corps et en devient le substitut. Et jamais personne n’a pu donner de sens aux substituts, ce qui fait qu’il est inutile de chercher à se comprendre sur ce terrain là car non seulement les relations qui ont pour seul objectif la gratification des sens détournent le sens de l’amour, mais leur nature hautement personnelles et donc émotionnelles les rend, parce qu’elles sont changeantes et instables, littéralement incompréhensibles. Le malheur des hommes vient du fait qu’ils se sont privés d’amour, qui par définition est impersonnel, pour s’identifier à leur image personnelle et corporelle. C’est elle qu’ils aiment finalement, et plus particulièrement leur fonction sexuelle génitrice, qui fait d’eux des substituts de Dieu car ils espèrent faire bénéficier leur moi de Ses attributs – bien qu’ils payent un prix élevé pour racheter leur culpabilité. Pour compenser leurs échecs répétés, leur culpabilité et la peur qu’ils ressentent, ils n’ont d’autre option, croient-ils, que d’inverser le sens de l’amour, qui est bonheur, en plaisir des sens. 

La croyance au particularisme, fondée sur le dogme de la séparation, établit que chaque individu est une entité autonome et singulière, dont la volonté (fonction de l’esprit) lui est propre ; que son indépendance est prouvée par son moi particulier, représenté par son corps psychique et physique, ce dont témoigne incontestablement son histoire personnelle ; que sa souffrance et ses nombreuses cicatrices prouvent sa « réalité » puisque, selon lui, son état de victime et sa souffrance valident son expérience psycho-corporelle. Les hommes sont malheureux parce qu’ils détournent l’Amour de sa fonction unificatrice spirituelle et lui préfère des substituts qui légitiment leur existence séparée. Ainsi sont-ils obligés de rêver d’illusions car, en vérité, l’esprit ne peut se séparer de l’Amour qui est sa substance même. 

Dans l’Absolu de la vérité, la communion est le mode opératoire de l’Esprit. Dans ce Tout aimant, la compréhension et l’appréciation sont synonymes d’unité et d’Amour, parfaitement et immuablement connus. Les Éveillés de tous les temps en ont témoigné. Les endormis, les rêveurs de leur monde particulier, qui désirent cependant s’éveiller au monde d’amour et de paix intérieure que seul l’état-un de l’esprit peut leur offrir, ont un impérieux besoin d’apprendre que l’union dont il est question ne peut se produire au niveau des formes matérielles dont leur rêve individuel est fait. L’investissement dans ces formes particulières, que suppose le fait même de rêver et qui leur donne la fausse impression d’exister individuellement, est tel qu’ils préfèrent généralement en souffrir en les revendiquant que de s’éveiller en y renonçant. C’est pourtant à cette inutile revendication que s’efforcent tant de bonnes volontés, alors qu’ils retiennent dans leurs poings serrés la clé de leur délivrance. 

Par leur attachement à leur singularité, les hommes n’ont pas consciemment accès à l’unité de l’esprit, qui est la réalité, et donc à la communion, qui en est l’état. Ainsi n’ont-ils d’autre choix que de dialoguer entre eux par le biais du langage pour apprendre et comprendre qu’ils ne sont pas différents les uns des autres ; qu’ils ne sont ni hommes ni femmes, ni Blancs ni Noirs, ni Asiatiques, Américains, Européens ou même Homo Sapiens, et que les différentes religions auxquelles ils s’identifient, n’étant aussi que des formes, ne peuvent chacune représenter un Dieu différent. Pour qu’Il soit intelligible, l’Esprit de Dieu doit être Un. Et la Tour de Babel, symbole de la punition du dieu vengeur qui voulait séparer les hommes en multipliant les langues pour les empêcher de se comprendre, s’écroule sur ses fondations usées, comme toutes les structures, murs et autres frontières qui séparent et emprisonnent. 
La toile invisible de l’Internet, métaphore de la vastitude de l’esprit, a désormais remplacé Babel. C’était donc ça ce « Nouvel Âge » tant décrié parce qu’incompris ! Peu importe la teneur de ce qui est communiqué (la couleur de la toile), car elle est aléatoire et changeante ; ce qui compte est l’universalité de l’esprit (le tissage des fils en un tout solidaire) dont la réalité deviendra bientôt, si ce n’est déjà fait, une lumineuse évidence à la consciente attentive de l’esprit apparemment fragmenté des hommes qui se croyaient singuliers et particuliers. Ils apprendront, afin de se comprendre puis de s’apprécier, qu’ils ne sont pas, par leur essence spirituelle commune, différents les uns des autres puisqu’ils peuvent non seulement utiliser le même outil – le web, la toile – pour communiquer leurs pensées et se joindre en esprit par-delà les obstacles, les frontières et autres limites qu’imposent les lois de la séparation. Ainsi feront-ils l’expérience directe que seul l’esprit est – sans séparation aucune. Alors ils cesseront d’être malheureux car, par cette compréhension, ils s’apprécieront en tant que parties d’un seul tout et n’hésiteront plus très longtemps à s’identifier à Cela qui n’a pas d’opposé. Et la signification de l’Amour ne sera plus un secret pour eux, car ils auront compris que l’Esprit est un état unifié dont l’action est éternellement aimante, un état intelligible et lumineux, au-delà des formes visibles du monde – un monde où ils n’auront plus à porter de fardeau, et où ils ne feront plus que passer.

Extrait de La Traversée, publié à compte d’auteur 

Par Michèle-Rose Wainhouse
Psychopédagogue, Écrivain, 
Site Web: http://michelerosewainhouse.com/ 
 

 Note: (1) A Course in Miracles, T. 7-V.
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