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Le conflit

Par Richard Sada 
Psychothérapeute, Maître de Yoga, France
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* Cet article a été rédigé dans le cadre d'une formation de Licence Professionnelle Coordination de projets de développement social et culturel en milieu urbain.


Le conflit 

Le présent document a pour but d’exposer, sur la base de situations que j’ai personnellement vécues ou dont j’ai été le témoin direct, ce que peuvent être les signes et les origines du conflit, comment le résoudre, comment l’éviter, le dépasser pour installer une nouvelle situation de stabilité et de paix.
Le sujet est vaste et complexe. C’est pourquoi je me suis fixé les limites suivantes : 
Je commencerai par poser quelques définitions et éléments de classification des différents types de conflits.
Puis, j’exposerai des exemples de situations dans lesquelles j’ai été à titre personnel partie prenante ou témoin de situations de conflit.
Enfin, je revisiterai ces différentes situations pour illustrer les comportements face au conflit et les voies pour chercher à le résoudre.

Définition et typologie des conflits

Définition
Le mot « conflit » vient du latin « conflictus » qui signifie : heurt, choc, lutte, attaque.
Il s’applique, à l’origine, à une situation de lutte armée, de combat entre deux ou plusieurs personnes, organisations ou puissances, qui se disputent un pouvoir.
Par extension, le terme de conflit s’applique aujourd’hui à toute opposition survenant entre des parties en désaccord, l’une souhaitant imposer ses positions, à l’encontre des attentes ou des intérêts de l’autre partie.
Au sens légal, un conflit est un contentieux sur un ou des points de droit. On entend par conflit, au sens profond ou authentique du terme, l’affrontement de deux ou plusieurs volontés individuelles ou collectives qui manifestent les unes à l’égard des autres une intention hostile et une volonté d’agression, à cause d’un droit à recouvrer ou à maintenir. Ces volontés essaient de briser la résistance de l’autre, éventuellement par le recours à la violence.
« On pense souvent que le conflit entre des personnes est une « mauvaise » relation. Pourtant, de nombreux sociologues (comme Georg Simmel), philosophes (comme Hegel ou Nietzsche) ou psychologues, développent une vision plus positive du conflit comme mode de relation entre individus. Les psychologues Dominique Picard et Edmond Marc considèrent que les conflits ne sont pas des erreurs de la communication, mais qu'il est aussi normal et banal de se disputer que de bien s'entendre : « les problèmes relationnels sont inhérents à la nature et à la dynamique d'une relation parce que vivre ensemble et communiquer, c'est compliqué et difficile ». Cependant, le conflit est souvent vécu dans la souffrance et, contrairement à la bonne entente, il empêche la relation de progresser et d'être productive et les partenaires de s'épanouir. C'est pourquoi il est souvent nécessaire de le réguler et de le résoudre. » Source Wikipedia
D’un point de vue psychologique, les personnes impliquées dans un conflit ou vivant un conflit à l’intérieur de leur propre psychisme, connaissent des états émotionnels forts : colère, frustration, peur, tristesse, rancune et parfois agressivité et violence. C’est cette réalité qui est à l’origine de la connotation négative du mot conflit.
Pourtant, le conflit n’est pas forcément destructeur. Il est normal de rencontrer des conflits ou des problèmes relationnels, tant est immense la diversité des êtres humains, de l’histoire des peuples, de leur culture, du parcours individuel de chacun.
Plutôt que les conflits eux-mêmes, c’est la façon de les aborder qui peut être destructrice.
Selon le Dr Austruy, psychiatre à Paris, « toute situation relationnelle entraîne nécessairement des conflits ». Tout dépend du degré de liberté d’expression et d’égalité entre les individus. A l’origine d’un conflit, on trouve toujours des intérêts divergents, des sentiments heurtés ou des désirs différents. « En fait, le conflit pose la question de l’autre, qui a parfois la mauvaise idée de ne pas vouloir ce que l’on veut ! »
Nous sommes tous amenés à vivre des conflits ! Les moments de crise sont inévitables et souvent nécessaires pour faire bouger les lignes et initialiser une mutation vers un nouvel équilibre.

Typologie des conflits
Si les sources, les contextes et les formes de conflits sont extrêmement diverses et variées, on peut les regrouper en quatre grands domaines.

Le conflit intra personnel
Le conflit intra personnel est un combat interne à l’individu, qui peut être habité de pensées contradictoires, ressentir une ambivalence de ses sentiments, souffrir de la perte d’un être cher…
On parlera en général de « conflit psychique ».
Tout individu, quelle que soit son époque, sa culture, sa condition, doit faire face, tout au long de sa vie et à des degrés divers, à des situations génératrices de conflit psychique, lesquelles agissent sur la structuration profonde de sa personnalité.
Dans de nombreux cas, le conflit psychique, lorsqu’il n’est pas résolu, provoque chez l’individu un malaise profond qui peut le conduire jusqu’à l’automutilation voire au suicide.

Le conflit inter personnel
Le conflit inter personnel se définit par une situation dans laquelle plusieurs personnes s’affrontent.
Conflit de couple, conflit entre voisins, entre amis, entre acheteurs convoitant un même bien… tous ces conflits ont en commun la passion ou l’intérêt, qui sont à l’origine de la discorde.
Généralement, les critiques fusent, parfois les insultes qui laissent place à la violence, avec l’une des deux parties qui ne supporte pas la divergence d’opinion, la recherche d’appropriation de l’autre, ou encore la jalousie, la différence de croyance, de valeurs et de culture.
Les conflits sont souvent inévitables, notamment dans le couple. Mais s’ils sont un mauvais moment à passer, ils contiennent en eux une forme de communication qui peut être constructive.

Le conflit intra groupes
Dans un groupe constitué, les heurts peuvent être de diverses causes.
Le conflit d’autorité et de pouvoir : il s’agit souvent de personnes de même rang hiérarchique dans une organisation (entreprise, association…) qui s’opposent suite à l’empiètement par l’un sur ce qui relève des compétences de l’autre.
Le conflit de concurrence ou de rivalité : ils surviennent dans les situations où la compétitivité et la recherche du résultat par sa quantification sont rendus nécessaires.
Le conflit mimétique : l’élève apprend, pratique assidûment et finit par s’opposer au maître.

Le conflit inter groupes
Il s’agit généralement de communautés ou de groupes distincts, qui ont une culture ou une idéologie différente. Ils n’hésiteront pas à avoir recours à la violence.
Ce type de conflit est caractéristique d’oppositions entre groupes ethniques ou entre mouvements politiques.

Témoignage personnel de situations de conflit vécues ou observées

Pondichéry (Inde) - 1979
Le village de Dubrayapet à Pondichéry (Inde) n’avait pas l’électricité. Il n’y avait que deux lampadaires dans la rue. Deux ou trois maisons avaient un groupe électrogène quand le reste du village vivait à la bougie et la lampe à huile ou à pétrole. Seul le cimetière restait un secteur un peu plus éclairé car la croyance voulait que la lumière empêche les âmes de s’en échapper.
Dans cette région du monde où la nuit tombe à 18h15, c’est cette maigre lumière qui me permettait d’animer, le soir, une activité physique pour les villageois car la population du village ne disposait d’aucun espace propice au jeu ou au sport.
En 1979, en tant que français d’origine indienne, né à Pondichéry, j’étais un pratiquant passionné de Karaté et de Yoga. Au vu des transformations que ces disciplines opéraient sur ma propre personne et sur ma vie, j’avais envie de transmettre à mon tour cette opportunité pour les autres, tout en gagnant un peu d’argent pour poursuivre mes études.
A cette période, en Inde, la tradition, les castes, les religions ne permettaient pas aux habitants des villages de se côtoyer librement entre eux, encore moins de côtoyer la communauté française d’origine indienne qui, dans cet ancien comptoir français de Pondichéry, bien que restitué à l’Inde depuis 25 ans à l’époque, vivait encore dans une exception culturelle française inaccessible aux villageois de la périphérie.
Je ne sais d’où me venait mon esprit militant mais déjà toutes mes intentions étaient tournées vers le but de rendre accessible par la simplification l’enseignement du Karaté et du Yoga à des gens qui n’y étaient pas destinés vu les préjugés dont ils étaient victimes. A l’époque, pratiquer le Yoga ou le Karaté était réservé à la seule haute société indienne.
En 1982, les villageois n’avaient toujours pas d’autre terrain d’entraînement que la plage et le bord de la rivière. A travers mon modeste statut d’animateur sportif, j’ai pourtant assisté à la transformation d’une jeunesse autour de moi. Mes élèves devenaient aussi bons compétiteurs que les privilégiés qui disposaient d’un terrain propice pour l’entraînement. Ils avaient largement acquis les moyens physiques et techniques pour aborder la compétition de Karaté de l’Etat de Pondichéry.
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Les mots me manquent pour dire tous les conflits d’indifférence, de jalousie, de non acceptation de l’autre, de choc des cultures, des classes sociales, des castes et des religions dont j’ai été le témoin à cette période de ma vie. D’un côté, ceux qui étaient dans la place, cherchant à défendre leur territoire, en appelant à la tradition pour ne pas reconnaître aux villageois le droit de participer, et de l’autre, ceux qui se préparaient sans relâche et dans le cœur desquels grandissait un désir de revanche contre l’injustice sociale et des interdits posés comme règle immuable.

Pourtant, à force d’un travail opiniâtre auprès des tenants de l’organisation de la compétition annuelle, le groupe des pondichériens avait non seulement dû céder pour intégrer les villageois dans la compétition mais aussi s’incliner sur le plan sportif face au groupe des étudiants karatékas issu des écoles populaires. Par la force des choses, je m’étais trouvé, en tant qu’animateur, en situation de médiateur, de négociateur et d’arbitre dans un environnement où les arts martiaux me servaient pour réguler toute la violence qui émanait de ces jeunes et ne demandait qu’à exploser.
Aujourd’hui, je suis représentant d’une fédération européenne de Karaté pour l’Inde et je supervise des clubs de Karaté en Inde, depuis la France, pour diffuser un programme international pour les instructeurs indiens. 
Force est de constater que bien des choses ont évolué. Les enfants des villageois, grâce à la lutte et le travail acharné de leurs parents pour leur intégration dans les études et la vie professionnelle, connaissent une période plus favorable qui leur donne plus de place dans la vie sociale. Mais il reste encore tant à faire…

Fédération française de karaté - 1986
En 1986, dès mon arrivée en France, j’ai intégré la FFKAMA (aujourd’hui la FFKADA), la Fédération Française de Karaté et Arts Martiaux Affinitaires. Je me suis entraîné avec ceux qui, aujourd’hui encore, composent le cercle des plus hauts gradés de la Fédération, mais aussi ses promoteurs.
Pourtant, cette Fédération avait un caractère dominant. Pour faire court, son fonctionnement n’était pas très démocratique. Un seul style de karaté était accepté, le Shotokan. Aucune ouverture vers d’autres styles n’était possible. Pour le néophyte, nous dirons que chacun a sa façon de danser et qu’il y a de nombreuses écoles. Dans le Karaté, c’est la même chose.
J’ai pourtant entrepris de tenir tête à toute une fédération pour faire accepter mon style, le Goju Ryu Karaté Do. En tant que marginal sécant et adhérent de la fédération, tout en combattant et en passant mes grades avec eux, je voulais garder mon originalité face au monopole d’un style.
Ce positionnement m’a conduit à rencontrer la farouche résistance au changement des chefs de l’époque, qui avait déjà laissé amers et découragé nombre d’experts venus d’autres horizons, comme les Japonais. Je me suis trouvé en situation d’assumer, de manière pleinement consciente, une situation conflictuelle de grande opposition face à une fédération de 250 000 licenciés.
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Aujourd’hui, plusieurs styles sont reconnus dans la Fédération, et parmi eux, le Goju Ryu, a acquis son statut de source indienne originelle du Karaté. Je fais partie des fondateurs et experts d’une fédération européenne de Karaté, la FEKAMT, née d’une scission de la FFKAMA. Tous ces experts sont donc issus de la FFKAMA. 
Ainsi, les conflits qui ont émaillé la vie de cette Fédération ont trouvé leur résolution dans la séparation.

Durant plus de 10 ans, j’ai rencontré d’interminables conflits que j’ai dû résoudre les uns après les autres, en mobilisant des énergies de médiation, de négociation, qui ont nourri mon savoir-faire et mon savoir-être pour maintenir l’harmonie de mes relations avec les experts des deux branches, tout en conservant ma posture de pratiquant et de représentant expert dans cette discipline.
Aujourd’hui, je considère que j’ai fait ma place et je ne m’intéresse plus qu’à l’âme de cette discipline et à son pouvoir de transformation de l’individu, de sa famille, de ses proches et du pays dans lequel il vit. Ainsi, j’ai développé une méthodologie d’enseignement et d’adaptation permettant la pratique du Karaté aux personnes à mobilité réduite, en totale intégration parmi les valides. J’anime un club de Karaté dans un quartier défavorisé, club dans lequel j’accueille nombre de jeunes et d’adultes touchés par un handicap (physique, sensoriel, psychique). Il faudrait encore de nombreuses pages pour témoigner des freins que j’ai pu rencontrer avant d’en arriver là et du chemin qu’il reste encore à parcourir pour que les grades de Handikaraté soient pleinement reconnus, sans arrière pensée, comme la récompense d’un véritable travail d’autodiscipline, de progrès physique et de développement personnel, dans ce milieu habitué à réserver aux seul guerrier la pratique des arts martiaux.

Maison d’arrêt de Gradignan - 2012
C’était un jeudi sombre. Il pleuvait sur la maison d’arrêt de Gradignan (33).
Un groupe de fonctionnaires attendait devant la porte d’entrée. Les procédures de sécurité étaient renforcées : une tentative d’évasion venait de se produire.
Alors que j’arrivais comme chaque semaine pour animer l’atelier d’activité corporelle en milieu carcéral, j’ai vite compris que rien ne se passait comme d’habitude. Les passages des sas de sécurité prenaient beaucoup plus de temps à franchir.
Alors que j’abordais enfin le cinquième étage, face à la salle polyvalente où j’anime l’activité, je constate que le groupe des détenus venus des six étages du bâtiment pour participer à l’atelier, m’attend dans le couloir au lieu d’à l’intérieur de la salle comme habituellement. Je remarque alors une nouvelle surveillante et je repère une certaine tension entre la surveillante et le groupe.
Les choses s’annoncent mal : elle me demande la liste des détenus qui doivent participer à l’atelier. Je l’informe que cette liste doit être affichée dans son bureau. Les détenus semblent un peu agités, car ils ont dû m’attendre et la surveillante, étant nouvelle, ne veut pas, pour des raisons de procédures de sécurité, qu’ils restent si nombreux dans un espace de transfert.
Un instant plus tard, elle revient sur place avec la liste et constate que 22 personnes sont présentes pour l’atelier alors que la liste n’en prévoit que 16. Elle demande à tous ceux qui ne sont pas dans la liste de retourner immédiatement à leur cellule dans leur étage respectif. La tension monte d’un cran.
J’analyse la situation : 
Aucun détenu ne peut être ici sans l’accord du surveillant de son étage car lui seul peut lui ouvrir la porte de la cellule pour se rendre à l’atelier.
L’habitude de l’atelier, qui a acquis une bonne réputation au sein de l’établissement, fait que la liste n’est pas toujours revue en fonction des participants réels. Les détenus négocient avec leur surveillant pour participer à l’activité parce qu’elle leur apporte, eux qui sont enfermés plus de 20h sur 24 dans leur cellule.
Je comprends que les détenus ont donc refusé de retourner à leur cellule au motif qu’ils attendaient mon arrivée.
Mais la surveillante ne veut rien savoir. Emotionnellement, elle n’est pas dans l’écoute. Je cherche à la rassurer, mais la panique est au rendez-vous.
Ce qu’elle voudrait, c’est que j’aille voir le chef de détention pour requérir son accord. 
Je tente encore de la rassurer en lui expliquant que je connais bien cette personne et qu’il est au courant de notre atelier et de son fonctionnement habituel.
Face à l’impossibilité de communiquer avec elle, je décide de m’adresser directement aux détenus pour les informer de la situation particulière dans laquelle se trouve notre atelier du jour. « Maître, nous attendrons que vous reveniez avec la liste à jour. ». Comme je les comprends ! Eux qui vivent dans un double isolement, la vie à l’intérieur des murs, qui les coupe de la société, et l’enfermement à l’intérieur de la cellule, 20h par jour, à plusieurs dans un espace réduit.
Circuler dans le couloir est en soi une distraction, une perspective de mouvement, soit pour venir participer à une activité proposée par l’administration pénitentiaire, soit pour une promenade entre quatre murs de béton deux fois 1 heure par jour.
Pour des individus déjà confrontés à une telle souffrance, arriver devant la porte même de l’activité pour ne rencontrer que l’incompréhension d’une surveillante et s’entendre dire « allez, remontez dans vos cellules !, vous n’avez plus rien à faire ici » est une situation qui à elle seule aurait pu mettre le feu à la poudrière ! L’étincelle de trop !
Pour couper court à toute dérive, je décider instantanément d’annuler l’activité et d’aller voir le chef de détention après. Je connais ce qu’est l’enjeu d’une attente dans une zone de transfert, tendu en face d’une jeune surveillante accrochée au respect des procédures, et qui plus est, un jour où une tentative d’évasion vient de se produire. J’informe donc calmement les détenus participants de l’atelier que je préfère revenir sereinement la semaine suivante et que je ferai le nécessaire pour obtenir une liste à jour.
Grâce à l’activité et à nos échanges passés, j’ai pris moi-même la responsabilité de couper court à toute dérive et de coordonner le retour de chaque détenu vers son étage respectif, en y mettant les formes de l’ambiance conviviale habituelle de notre atelier.
Mon initiative a semblé apaiser la surveillante. Mais elle se sentait visiblement gênée, car elle ne s’attendait pas à ce je prenne aussi simplement la décision d’annule l’atelier et que ma médiation ait pu si facilement éviter la confrontation entre elle et les détenus.
Elle m’indiquera ensuite que c’est la première fois qu’elle devait gérer une situation avec autant de détenus ensemble en dehors de leur cellule en même temps. 
Elle revient un peu plus dans l’écoute.
Sans le dire, je debriefe avec elle ce qui vient de se passer, en lui expliquant les raisons et les habitudes de l’atelier : lorsqu’on se trouve dans cet espace de transfert, la salle polyvalente est tout près, il ne reste qu’une porte à franchir. « Vous voulez dire la salle de musique ? » me dit-elle surprise. En effet, c’est la même salle, marquée « Salle de musique » qui sert pour toutes les activités, mais elle ne le savait pas. Elle n’aurait eu qu’à ouvrir la porte pour laisser les détenus s’introduire dans la salle.
Parce que je dois rendre des comptes dans l’association pour laquelle j’interviens et assurer la continuité de l’activité dans ce lieu, et connaissant tous les risques graves spécifiques à cet environnement carcéral, j’ai rapidement analysé la situation en calculant qu’il était dangereux de s’engager dans une polémique face à cette situation problématique, vu l’ambiance tendue dans l’établissement exacerbée par la tentative d’évasion : 
- la sécurité des déplacements au sein des bâtiments était renforcée donc compliquée, je n’avais pas le temps de descendre dans le bureau du chef de détention et de revenir sans que la situation ne risque de dégénérer franchement, 
- je ne voulais pas que soit mise en cause la confiance acquise depuis des mois avec les surveillants qui ouvrent volontiers les cellules blindées des détenus pour leur permettre de participer à l’atelier d’activité corporelle et de bien-être y compris lorsqu’ils ne sont pas inscrits dans la liste.
Après le départ des détenus vers leurs étages respectifs, en saluant la surveillante avec une poignée de mains amicale, j’ai senti qu’elle était toujours gênée mais je l’ai une fois encore rassurée en l’informant que je reviendrais comme d’habitude la semaine suivante, avec ma nouvelle liste, complète cette fois. Mais elle m’indique qu’elle ne sera pas là et qu’elle n’est présente qu’occasionnellement pour son expérience professionnelle.
Je suis redescendu du 5° au 1° étage, sans prendre l’ascenseur, histoire de disposer d’un peu de temps pour réfléchir à comment aborder le chef de détention, Monsieur B.O.
Je lui explique simplement que je viens d’arrêter l’activité. Je lui donne l’ancienne liste et je lui demande d’ajouter les participants manquants, expliquant que la surveillante demandait à ce que seuls les détenus inscrits participent. Il dit « dommage, pourquoi ne m’a-t-elle pas appelé ? ». Je lui réponds en souriant : « c’est mon karma ! ».
Je le quitte avec de nouveau une poignée de mains amicale et me dirigeant vers le bureau du SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation).
Pour cela, je dois encore franchir quatre sas de sécurité. Rien n’est simple dans ce lieu.

Faire face au conflit

Un conflit non traité peut amener à la violence et à l'insubordination.

Repérer les comportements
Le conflit nait de ce que l’une des parties en présence cherche à imposer sa vision des choses au reste des parties prenantes.
Quels que soient les types de conflits, on rencontre plusieurs types de comportements, avec chacun un potentiel inégal à résoudre le conflit. De plus, un même conflit peut être le théâtre de différents comportements, selon les parties en cause, ou selon les étapes de l’expression et de la résolution du conflit.

Ignorance, fuite
Il s’agit de la forme la plus primaire d’attitude face au conflit, qui représente ici, pour l’individu, un danger, une menace qu’il ne souhaite pas affronter. Ignorer le conflit est une forme de déni qui risque de placer l’individu en situation de victime.
Ainsi, le conflit n’éclate même pas. Il n’est pas révélé. La souffrance psychique n’en est que plus grande.
La famille est un des environnements dans lesquels des situations de déni et de fuite du conflit peuvent se rencontrer. Ce comportement n’amène aucune solution mais plutôt une aggravation des situations, pouvant dégénérer en violence.

Accommodation, soumission
Dans ce cas, le conflit est identifié, il n’est plus seulement un risque ou une menace, il est bien réel. Mais la situation est vécue comme perdue d’avance, contre laquelle il est inutile de lutter.
Dans ce cas, comme dans le précédent, l’une des parties en présence détient un pouvoir et une autorité démesurés par rapport à l’autre. Le pot de terre contre le pot de fer… L’individu considère comme surhumain l’effort qu’il lui faudrait déployer pour renverser une situation pareille. Il se sent impuissant à changer les choses mais introduit une forme d’acceptation qui va lui permettre de s’accommoder de la situation, c'est-à-dire de limiter autant que possible les effets destructeurs sur du conflit sur sa propre personne.
Dans l’exemple de Pondichéry, c’est exactement ce type de situation qui faisait que rien ne changeait quant à l’accessibilité de la compétition de karaté aux jeunes issus des villages. Pendant longtemps, c’était un ordre établi que rien ne pouvait bouleverser mais auquel chacun se soumettait, impuissant à faire bouger les lignes, tout en nourrissant rancune et amertume.
Le travail que j’ai réalisé avec eux en tant qu’animateur sportif allait commencer d’agir comme un grain de sable dans un système bien rodé.

Confrontation, affrontement, domination, violence
Dans ce troisième stade du comportement face au conflit, la tension est telle que la confrontation a lieu et l’affrontement s’exprime. Le conflit étant exprimé, on pourra alors parler de le résoudre.
Si l’on maîtrise bien la situation, d’un point de vue général, on peut souhaiter que chaque individu aille jusqu’au bout de l’expression de sa position, en essayant de créer les conditions suffisantes pour il n’y ait ni domination ni écrasement de l’une ou l’autre des parties.
On retrouve ce type de situation dans l’exemple de Pondichéry. La confrontation, l’affrontement, la domination sont en quelque sorte organisés et encadrés par la compétition de karaté. Le sport et en particulier les arts martiaux, deviennent un environnement favorable à l’expression de l’opposition entre les pratiquants privilégiés habituels et les pratiquants issus des villages mais qui se sont entraînés de manière opiniâtre pour gagner leur participation, et in fine, gagner le championnat. De conflit ouvert, la situation devient opposition sportive entre adversaires, les règles du sport faisant barrière aux débordements que cela aurait pu provoquer en d’autres circonstances. La violence est canalisée en même temps que l’injustice est réduite.
Dans l’exemple de la Maison d’arrêt, je cherche, bien au contraire à éviter à tout pris la confrontation, l’affrontement et la domination par la violence.
Il faut se représenter ce que sont les murs de la prison dans sa partie intérieure, immenses… Même la lumière entre par un puits de jour ; comme un châtiment supplémentaire, elle ne peut pas venir directement de l’extérieur par la fenêtre.
L’éclairage du cinquième étage, où se trouve l’atelier d’activité corporelle, traverse une fenêtre épaisse et atterrit dans une pièce sombre, lieu de passage que seuls des néons éclairent. Tous les participants de l’atelier doivent franchir cette zone de transfert pour rejoindre la salle de pratique.
Dans la prison, les détenus peuvent être amenés à circuler dans les couloirs, mais c’est toujours pour une raison bien identifiée et autorisée : se rendre à la promenade, aller à l’infirmerie, au parloir… Ces sorties de la cellule sont très restreintes et les procédures prévoient de limiter au strict minimum le nombre de détenus circulant en même temps dans les couloirs.
Les détenus, enfermés 20h sur 24, vivent sous tension et attachent une importance d’autant plus grande à ces instants qu’ils sont rares et précieux.
Les priver de leur séance d’activité physique est donc un motif largement suffisant pour provoquer chez eux un mouvement de révolte. Et parce qu’ils sont là, agglutinés à 22 dans un couloir, cette révolte peut devenir immaîtrisable, avec un risque non négligeable d’ouvrir la voie à une mutinerie.
La confrontation et l’émergence de la violence sont donc dans ce cas, à exclure absolument, au profit d’autres voies plus prudentes à l’égard de ce risque. Il y a donc nécessité d’anticiper, de réfléchir vite, et d’éviter au conflit d’éclater.

Favoriser l’écoute, l’observation, la collaboration et la négociation

Personne ne voit le monde de la même façon, les désaccords font partie intégrante de la vie et des relations. Le conflit n'est pas nécessairement mauvais, il est, a minima, un indicateur de l’existence de points de vue différents. 
Si l’apparition de conflits est inévitable, il est possible de faire en sorte qu’ils enrichissent, in fine, les relations.
Or, les conflits sont souvent abordés comme le serait un procès : on cherche à trouver un coupable et à le punir. La discussion tourne alors inévitablement aux plaintes et aux reproches. Les échanges alternent les attaques et les défenses.
Pour résoudre le conflit, je préfère chercher une solution plutôt qu’un coupable, seule clé d’une résolution efficace. Il s’agit donc de résoudre un problème, et cela commence par l’observation de la situation pour définir précisément ce problème.

Définir le problème à l’origine du conflit
Plus la définition du problème sera précise, plus grandes seront les chances de le résoudre. La première chose à faire avant d’essayer de résoudre le conflit, c’est donc de le définir avec précision. Il devient alors nettement plus aisé de chercher des solutions.
Dans l’exemple de la Maison d’arrêt, la situation de tension est provoquée par une concomitance de plusieurs éléments, qui crée les conditions d’une situation de crise là où habituellement, tout se passe plutôt bien.
Une surveillante novice, qui, à défaut d’expérience, se réfère strictement à la procédure,
Un jour où vient de se produire une tentative d’évasion, avec la tension interne et le renforcement des contrôles qui retarde mon arrivée sur le lieu de l’activité,
Un groupe de détenus forcément agacés par l’attitude de la nouvelle surveillante eu égard à l’importance que revêt pour eux l’atelier d’activité physique et au fait qu’il n’y a plus qu’une porte à franchir pour s’installer dans la salle dite « de musique » où se tient habituellement l’atelier.
Pour ajouter à la définition du problème, on peut aussi considérer les enjeux d’une telle situation pour moi-même et pour l’association que je représente. En effet, il y a fort à parier que si le conflit éclate, l’activité sera supprimée définitivement.
Dans l’exemple de la Fédération de Karaté, le problème est caractérisé par la pouvoir de monopole de la fédération, ne laissant aucune ouverture à d’autres styles, donc à d’autres experts. Dans ce cas, le conflit naît du refus de ceux qui sont dans la place de céder à d’autres quelque terrain que ce soit.

Dialoguer, collaborer dans une posture non violente
Il demeure inutile de refreiner sa colère en espérant qu'avec le temps, les choses finissent par s’apaiser. Mieux vaut mettre de suite l'objet du désaccord sur le tapis.
Je pense qu’il est largement préférable de poser les questions qui vont permettre à chacun d’exprimer son point de vue. Pour ce faire, on peut se demander quelles sont les répercussions du conflit sur la situation de chacun et mon rôle consiste à inviter les parties à le déterminer ensemble.
Pour ce faire, je chercherai à ce que chacun puisse s’exprimer totalement, en lui posant des questions pour l'aider à préciser sa pensée. Il s’agit là de respecter l'opinion de l'autre, de prendre quelques minutes pour bien comprendre ce que dit la personne et d’essayer de comprendre pourquoi cette personne a de pareils sentiments. Il faut donc éviter que les parties s’accusent mutuellement sans raison et les aider à trouver un compromis qui puisse les satisfaire chacune.
Dans l’exemple de la Maison d’arrêt, si je cherche à négocier pour aboutir à un compromis, c’est, à court terme, afin d’éviter l’émergence de la violence et de ne pas laisser dégénérer la situation. La communication non violente est un outil de communication verbale recommandé pour la résolution de conflits et bénéfique pour communiquer avec davantage d'authenticité.
J’ai donc recours à toutes formes de communication non violente, et je capitalise sur le lien déjà très fort que les détenus ont tissé avec moi au cours des séances d’activité précédentes. Je cherche à créer une relation authentique avec la surveillante, en insistant sur mon intention de négocier avec les détenus, et de prendre un temps, soit-il très court, pour rechercher une solution face à cette situation de crise. Il y a donc un travail sur mes propres émotions, pour ne pas me laisser personnellement influencer par la tension ambiante, et sur celles des parties en présence.
La communication représente plus qu’écouter l’autre. Face à cette surveillante novice et paniquée, j’essaie de voir le monde à travers son propre prisme, de comprendre ses points de vue et ses craintes. Je cherche à lui montrer que j’apprécie son opinion, même si elle est différente de la mienne. Je me place en partenaire et non en adversaire.
Ma décision d’annuler purement et simplement l’atelier du jour produit immédiatement un premier résultat : la communication avec la surveillante est restaurée. Elle constate avec surprise une forme d’autorité de ma personne sur les détenus qui de bonne grâce reprennent le chemin de leur cellule malgré leur immense déception. Nous pouvons ainsi aborder plus calmement ensemble les solutions possibles. Mais le dialogue est encore fragile. J’évite donc de lui signifier une opposition frontale en acceptant, par exemple, d’aller faire mettre à jour la liste des participants pour le prochain atelier.
Un terrain d'entente ayant été retrouvé, la conversation se poursuit sur des sujets plus légers ou plus personnels, en guise de retour au calme : il s'agit de créer d'autres liens que ceux attachés au conflit. C’est dans ce contexte, apaisé, qu’elle retrouve l’aptitude à l’échange et se livre un peu sur la nature de ses angoisses.

Conclusion

Les conflits sont inhérents à la vie. Ils peuvent constituer des occasions de discussion menant à des améliorations.
Pour ce faire, il convient d’envisager le conflit comme un problème à résoudre, et non pas comme le procès d’un coupable. De plus, il est préférable de définir le problème avec précision avant de prétendre y apporter des solutions.
Je définirais « FRP » comme la constellation du conflit.
« F » pour le conflit familial, « R » pour le conflit relationnel, « P » pour le conflit personnel.
Une famille en guerre, avec toutes les relations rompue. Ce conflit va s’étendre sur tous les liens familiaux, comme une épidémie.
Un établissement social ou une entreprise, privée ou publique : par mon expérience j’ai constaté, observé, comment dans chacun dans son intérêt a oublié l’autre, jusqu’à son espace intime, en portant préjudice moral et matériel.
Le conflit d’intérêt fait rompre la motivation de l’individu, fait anéantir sa vie et son existence même, le conduisant jusqu’au suicide.
J’ai accompagné nombre de personnes déprimées, incomprises dans leur lieu de travail, avec toute communication rompue. Même un élu, quand il n’est pas réélu, a son fardeau à porter. J’en ai vu tomber dans l’alcoolisme et dans l’oubli.
Un commerçant qui n’arrive plus à vendre sa marchandise, par la volonté de plus gros qui peuvent faire pression sur les petits.
Attribution d’un poste de travail ou d’une prime à l’un plutôt qu’à d’autre, par favoritisme. Cela peut couper le souffle, affectant l’individu sans recours.
Quelles que soient les personnes touchées, j’ai pu observer que leur enthousiasme était remplacé par la dépression.
Les conflits de liberté de la presse dans des pays non démocratiques : La liberté de l’information est un frein à la corruption. Savoir écrire peut conduire à être pris en otage ou torturé.
Dans le conflit, si le droit n’est pas maintenu, celui qui n’est pas écouté devient victime.
J’ai été mainte fois témoin, de près ou de loin, d’évènements qui ont renforcé mon militantisme pour la paix.
J’ai vu un collègue de travail qui devait rendre à son employeur son quota d’heures de formation. On le faisait venir deux heures par ci, deux heures par là durant des semaines, tôt le matin en plus de sa journée de travail normale. Il s’est crevé à la tâche, dans l’indifférence de tous, jaloux probablement de le voir entreprendre une formation. Il a fini par tomber en déprime.
Son chef de service le méprisait. Malgré mes bonnes relations avec celui-ci, cela m’a laissé un sentiment d’injustice envers ce collègue animateur, qui est finalement décédé d’un cancer des poumons.
Pourtant ce chef de service a dit un beau discours à l’occasion du décès de ce collègue. Quelle hypocrisie !
En tant que chercheur praticien, j’ai aussi observé la société dite « moderne et érudite » ainsi que les gens les plus démunis, confrontés à toutes les sortes de handicap d’accès à la culture et son rayonnement.
J’ai constaté que le conflit se cache derrière la relation, l’amour, l’expression, l’échange, l’acceptation, l’analyse, la recherche, la confiance, les retrouvailles.
Cela paraît un peu flou, en se penchant et en analysant, pourtant le conflit a sa place en tout. Un intérieur qui n’est pas apaisé, si un travail n’est pas accompli par soi-même, si on n’a pas d’objectif ou d’idéal, même faire des efforts, c’est un conflit.
Le conflit est un phénomène qui peut conduire vers un isolement total, et faire perdre jusqu’au goût de la vie.
Il peut atteindre le plan physique par la maladie. Selon l’Ayurveda, médecine indienne, le conflit est à l’origine de toutes les maladies.
Réfléchir et résoudre le conflit, c’est ce qui m’intéresse aujourd’hui.
Un conflit de travail se termine de plus en plus souvent devant le juge : Conseil des Prud’hommes, c’est le résultat de la « judiciarisation » de la société.
La fin d’un conflit social est une problématique qui doit aussi nous intéresser : les patrons, les actionnaires, les salariés, les syndicats, la compétition entre les syndicats, face la compétitivité, devant les difficultés financières qui menacent les usines de mettre la clé sous la porte et de mettre les ouvriers sur la paille.
J’ai longuement réfléchi sur ce phénomène. De plus en plus, la précarité est au rendez-vous pour la famille quand il y a perte d’emploi. Les conflits sociaux mettent en jeu le lien direct entre le travail et la vie de la famille.
La liberté d’expression, non comprise, peut aussi engendrer un conflit d’enfermement.
Il ne faut pas survoler la question du conflit avec les charmes de la probabilité.
Lorsque le conflit éclate, il faut à tout prix chercher une solution pour le résoudre et non un coupable, qui aura tôt fait de devenir une victime.
En tant qu’animateur, en tant qu’enseignant, en tant qu’entrepreneur, coordinateur, travailleur social, je m’impose une ligne de conduite, un devoir de militantisme discret pour intervenir sur l’injustice sociale et les conflits sociaux, pour éviter ou limiter l’affrontement entre les groupes sociaux.
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Richard Sada, Psychothérapeute, Maître de Yoga
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